Et si nous étions tous dotés du cerveau de Gaston Lagaffe ? Parfois maladroit, souvent paresseux et même un brin affabulateur comme le fameux personnage de Franquin. Bref, un cerveau beaucoup plus… humain qu’on ne le pensait. C’est en tout cas ce que nous répètent les neurosciences… Finie la rationalité cartésienne. L’humain est un être fondamentalement… biaisé, soumis à ce que les scientifiques nomment des « biais cognitifs ». C’est-à-dire des mécanismes de pensée qui sont le fruit de l’évolution et de la façon dont notre cerveau s’est adapté à son environnement à travers les siècles. Une sorte d’« inconscient cognitif », des schémas mentaux que nous avons pris l’habitude d’appliquer automatiquement, un peu paresseusement. Et qui bien souvent nous égarent…
188 biais cognitifs
Le blogueur américain Buster Benson, a ainsi occupé son congé paternité à lister et à tenter de comprendre tous ces raccourcis cérébraux… Et il en a trouvé 188 ! Qu’il a triés et exposés dans une infographie saisissante. Dépassé par un trop-plein d’informations, notre cerveau les filtre selon ses propres critères, qui ne sont pas forcément rationnels (biais de confirmation).
Comme il a besoin de sens, il remplit les trous, invente des intentions et génère des illusions (biais de négligence des probabilités, anthropomorphisme…). Et comme il doit parfois prendre une décision en une fraction de seconde pour une question de survie, il se trompe souvent (biais d’excès de confiance). Ce sont ces erreurs de jugement qui, par exemple, expliquent notre tendance à croire n’importe quelle « infox ». Mais aussi qui nous poussent à faire des choses insensées comme… conduire une voiture ! Une activité qui serait bien au-dessus de nos capacités cognitives. De même, on comprend mieux aujourd’hui pourquoi nous procrastinons et n’avons qu’un temps limité de cerveau disponible.
Faire avec nos failles
Nous sommes imparfaits ? Qu’importe, ces découvertes ont donné lieu à toutes sortes de nouvelles pratiques dont la philosophie pourrait se résumer ainsi : faisons avec ! Prenons en compte nos lacunes et nos failles pour pouvoir progresser. Dans les entreprises, le « neuromanagement » change les règles du travail pour mieux les adapter aux rythmes cérébraux. Comment ? En offrant davantage d’autonomie aux salariés et en revalorisant les temps de repos nécessaires à leur créativité (Gaston Lagaffe avait raison !). ( voir à ce propos cette gym du cerveau sur le Flow, et cet article sur le repos du cerveau)
Une mine d’enseignements dont se sont même emparés certains États pour amener leurs citoyens à changer de comportement. Aux États-Unis, c’est un best-seller qui, en 2008, a lancé le mouvement : Nudge : comment inspirer la bonne décision, de l’économiste Richard Thaler et du juriste Cass Sunstein. Les auteurs conseillent aux États de montrer la voie à leurs administrés avec des incitations légères – nudge signifie « coup de pouce » en anglais –, mais efficaces parce que fondées sur une meilleure connaissance du fonctionnement cérébral… Au Royaume-Uni, le gouvernement Cameron a mis en place une équipe dédiée sur les connaissances comportementales, le Behavioural Insights Team (BIT). Ce qui était au départ un service au sein du gouvernement britannique s’est transformé depuis en une société de conseil qui compte 183 employés et plusieurs bureaux dans le monde.
À l’aéroport d’Amsterdam, le simple fait d’avoir apposé un autocollant représentant une mouche au fond des urinoirs a permis de réduire les frais de nettoyage des toilettes…
Une mouche dans l’urinoir
En France aussi, depuis mars 2018, la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) dispose d’un département spécialisé dans les sciences comportementales. Son premier fait d’armes : avoir considérablement augmenté le nombre de télédéclarations des impôts grâce à quelques petits « trucs » directement inspirés du nudge comme le fait de mentionner le nombre d’administrés ayant déjà sauté le pas. Appliquée à de nombreux domaines, du plus anecdotique au plus sérieux, cette nouvelle approche donne des résultats. À l’aéroport d’Amsterdam, le simple fait d’avoir apposé un autocollant représentant une mouche au fond des urinoirs a permis de réduire les frais de nettoyage des toilettes…
Au Japon où le taux de suicide est l’un des plus élevés au monde, les autorités ont disposé au bout des quais de métro des grandes villes des leds bleues. Leur lumière apaise et semble calmer l’impulsivité des candidats au suicide. Avec des résultats spectaculaires : le dispositif aurait fait baisser de 80 % le taux de suicide.
Eric Jamin
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