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Bruno de Stabenrath : « Xavier Dupont de Ligonnès a commis un meurtre familial altruiste »

Bruno de Stabenrath et Xavier Dupont de Ligonnès : une amitié née sur les bancs du lycée à Versailles.

Tuer par amour ? La question peut choquer. Mais c’est peut-être le vrai mobile du carnage commis par XDDL à Nantes en avril 2011. On en parle avec Bruno de Stabenrath, écrivain, acteur et auteur de L’ami impossible. Il connaît Xavier de Ligonnès depuis 1977. Il était et reste son ami. A la vie à la mort.

Pourquoi ce titre « L’ami impossible » ? Qu’est ce qui était impossible exactement : lui, Xavier de Ligonnès et l’acte inconcevable et même ultime qu’il aurait commis ? Ou votre amitié elle-même, le fait d’avoir partagé avec lui les belles années de votre jeunesse ?

Bruno de Stabenrath : « On va dire que mon ami c’était Xavier de Ligonnès et que l’ami impossible c’était Xavier « Dupont » de Ligonnès. Celui que j’ai connu ne s’appelait pas Dupont. Je n’arrive pas à faire le lien entre mon ami d’enfance, le Versaillais Xavier de Ligonnès, et le Nantais Xavier Dupont de Ligonnès qui a commis ces actes. C’est comme si ce n’était plus la même personne. Au moment où son état-civil complet est dévoilé, ce Xavier Dupont m’apparaît comme un inconnu. Cela m’a finalement permis de distinguer les deux, de ne pas les confondre dans ma mémoire.  Et si on est un peu lacanien, ce titre peut aussi se lire « L’ami un possible ». Dans les deux cas, il est mon ami. »

Si vous deviez écrire en quelques mots le portrait-robot psychologique de cet ami impossible que diriez-vous ? Qui était réellement Xavier de Ligonnès, l’homme et pas le « monstre » caricaturé par certains médias ? 

Bruno de Stabenrath : « Il n’ est certainement pas le monstre froid que l’on décrit parfois. Les gens on tendance à le réduire à ses crimes, ce qui ne le résume évidemment pas. Xavier était un mec bien, sensible, sympathique et bon père de famille.

Xavier était un mec bien, sensible, sympathique et bon père de famille.

Il adorait la musique country, il avait plein de projets, de l’ambition, de l’humour… »

Peu de gens le savaient avant la parution de votre ouvrage mais Xavier a été élevé avec cette conviction, assénée par sa maman (qui dit recevoir des messages de Dieu) depuis sa tendre enfance : il était l’Élu et appelé, à ce titre, à sauver le monde…

Bruno de Stabenrath : « Sa maman, la comtesse Geneviève de Ligonnès, animait une sorte de groupe de prière baptisé L’Église de Philadelphie ou Philadelphia dans lequel Xavier a baigné depuis sa plus tendre enfance. Elle disait en effet recevoir des messages divins… C’est un mouvement sectaire apocalyptique dont le chanoine Dominique Ridolfi était la caution religieuse. Xavier, selon sa mère, était le n°3 sur l’organigramme : il était l’Élu, celui qui devait hériter du monde après l’Apocalypse et la mise en place d’un nouvel ordre religieux ! Lui-même y croyait tout en adaptant son discours en fonction de ses interlocuteurs. Puis, en 1995, le miracle de la résurrection annoncée – par Geneviève de Ligonnès – du chanoine Ridolfi (décédé en 1987) ne s’étant pas produit, Xavier prend conscience du caractère délirant des enseignements de Philadelphia et rompt avec ce mouvement. C’est une césure importante dans sa vie, un point de bascule même ».  

Vous écrivez même que cet endoctrinement a participé à sa dérive psychologique… Après cet épisode, il finira aussi par rompre avec sa foi chrétienne.

Bruno de Stabenrath : « Oui, je pense que c’est cette secte qui a armé son bras. Xavier, jusqu’à l’âge de 35 ans, a été asservi à une idéologie morbide.

Xavier, jusqu’à l’âge de 35 ans, a été asservi à une idéologie morbide.

Après cet événement, il se rend compte que sa vie était gouvernée par l’imaginaire, par une fiction délirante… Ce réveil tardif n’est pas sans conséquences sur ses décisions, sa vision de l’avenir… Désormais, il veut tourner la page et s’investir dans la vie concrète, loin de cet univers mystique. Mais il n’aura jamais le courage d’affronter sa maman, la fondatrice de cette étrange église, de lui poser certaines questions… Il gardera cela en lui. Non seulement, il s’éloignera de la religion chrétienne mais il ira même jusqu’à se moquer de la foi d’Agnès, sa femme, et à exprimer sa colère sur certains réseaux sociaux catholiques. »

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris les faits en avril 2011 ? Étiez-vous dans l’incrédulité la plus totale ou bien vous êtes-vous dit, quelque part au fond de vous, que votre ami était bien capable d’une telle folie…

Bruno de Stabenrath : « En fait, les choses se sont déroulées en trois temps. D’abord, j’apprends par un contact à Nantes que la famille a disparu, que plus aucun membre de la famille ne s’exprime plus sur les réseaux sociaux… Et là, je pense toute de suite à une dérive sectaire, à un scénario comparable à celui de l’ordre du Temple solaire et aussi à un accident de bateau. Ensuite, je reçois la longue lettre de quatre pages que Xavier a envoyé à tout son entourage et qui commence par « Coucou tout le monde ! ». C’est dans ce même courrier qu’il raconte son histoire extravagante d’exfiltration aux États-Unis par la Drug Enforcement Administration (DEA). Enfin, la troisième et dernière étape, c’est lorsque la police trouve les corps et là le choc est terrible ! Je réalise ce qui s’est vraiment passé… »

On a l’impression, en vous lisant, que l’écart entre la vie dont rêvait Xavier, (pour lui et sa famille) et la réalité de son existence était devenu trop important, provoquant en lui une douleur insoutenable… Est-ce là que se trouve le point de rupture ?

Bruno de Stabenrath : « Le contexte est bien celui-là mais il y a, à mon avis, plusieurs points de rupture successifs qui le conduisent à commettre l’irréparable. D’abord, oui, ses affaires ne marchent pas, il est endetté, il a l’Urssaf aux trousses, il doit rembourser 50 000 euros à sa maîtresse… Le premier point de rupture, comme je vous le disais tout à l’heure, c’est la grande désillusion de 1995 lorsqu’il comprend que sa maman lui racontait des salades, que toutes ses histoires d’Apocalypse et de résurrection étaient des sornettes. Dix ans plus tard, en 2005, nouvelle immense déception quand il découvre que sa femme, Agnès, le trompe avec son meilleur ami. Le troisième choc, celui qui allait sceller le destin de sa famille, c’est la mort de son père, le comte Hubert de Ligonnès, en janvier 2011. C’est là que tout va se déclencher. La disparition de son père l’autorise en quelque sorte à passer à l’action.

La disparition de son père l’autorise en quelque sorte à passer à l’action.

Il sait qu’il n’aura pas à subir son regard, sa réprobation morale, à ressentir la honte face à lui. Il héritera de sa carabine avec laquelle il tuera Agnès et leurs quatre enfants. »

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Comment expliquez-vous la fascination que cette affaire, bientôt 10 ans après les faits, continue d’exercer sur le grand public ? Phénomène d’identification ?

Bruno de Stabenrath : « Non, je ne pense pas. Je crois que cette fascination collective s’explique surtout par l’absence d’épilogue, le fait que l’on n’ait toujours pas retrouvé Xavier. C’est souvent le cas avec les crimes non résolus. Ils continuent d’intriguer les gens longtemps après les faits. Cette affaire intrigue aussi le grand public car elle met en scène l’univers de la noblesse, le comte de Ligonnès… Enfin le mode opératoire et les corps enterrés sous la terrasse ajoutent à l’horreur. »

Pensez-vous toujours que Xavier soit vivant et qu’il vit sous une fausse identité dans un pays lointain ? Est-il vraiment capable de tenir un tel rôle, d’en assumer la charge mentale ?

Bruno de Stabenrath : « Oui, je le sens. Je pense qu’il est vivant et je ne suis pas le seul dans ce cas puisque les deux familles, celles de Xavier et d’Agnès, le croient aussi vivant. Xavier a suffisamment de talent pour créer son propre écosystème, s’intégrer à un nouveau groupe, une autre famille, une communauté. Dans sa tête, il a donné un sens qui nous échappe à ces actes mais qui lui permet de vivre avec. Pour lui tuer sa femme et ses enfants, les êtres les plus chers de sa vie, c’était un moyen de leur épargner la honte de la déchéance sociale, du déclassement…

Dans sa tête, il a donné un sens qui nous échappe à ces actes mais qui lui permet de vivre avec.

Xavier Dupont de Ligonnès a commis un meurtre altruiste. Il a mis fin à ce qu’il considérait être une descente aux enfers pour ses proches, une souffrance sans fin… S’il est vraiment, au plus profond de lui, convaincu d’avoir agi pour la bonne cause ; alors il peut vivre avec ce cauchemar. »

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S’il est vivant, il reste tout de même un homme traqué…

Bruno de Stabenrath : « Non, pas du tout. Personne ne recherche Xavier Dupont de Ligonnès aujourd’hui ! Il y a bien un avis de recherche mais concrètement ni la police ni la gendarmerie ne sont à ses trousses comme c’est le cas pour des narcotrafiquants ou des terroristes.

Personne ne recherche Xavier Dupont de Ligonnès aujourd’hui ! 

À ma connaissance, aucun service officiel ou secret ne le traque. Tant qu’il n’y a pas une volonté du juge de le faire, la situation restera en l’état. Ou alors, il faudrait recruter et payer des enquêteurs privés pour lancer de vraies recherches. Personnellement je pense qu’il se trouve au Texas dans la région d’Alpine. Il a toujours dit qu’il voulait finir ses jours là-bas… »

Reste-t-il votre ami malgré tout ? S’il lisait cette interview, quel message aimeriez-vous lui adresser ?

Bruno de Stabenrath : « Il reste mon ami et le message que je lui transmets à travers cette interview est le suivant :  » Xavier assume ce que tu as fait, assume tes actes et livre toi. Dis-moi ce qui s’est passé, raconte-moi ta dérive… »

Xavier assume ce que tu as fait, assume tes actes et livre toi. Dis-moi ce qui s’est passé, raconte-moi ta dérive… »

Avec le recul, qu’est-ce que ce drame familial vous aura appris sur votre ami, sur vous-même, sur la vie ?

Bruno de Stabenrath : « Ça m’a appris des choses très moches sur la vie… Que le désespoir, chez un être humain, pouvait être si profond, si terrible et mener à des actes aussi horribles. Je me demande toujours comment Xavier en est arrivé là… »

Propos recueillis par Nasser Negrouche

Une enquête littéraire captivante

« Je t’écris depuis longtemps et je continuerai à le faire car ces mots, mon ami, je les adresse à toi, rien qu’à toi. Ils portent en eux les fulgurances de notre rencontre, l’aventure de notre amitié, la vérité de notre histoire. » Le ton est donné. Intime, sincère, bouleversant. Dans L’ami impossible (Gallimard), Bruno de Stabenrath réussit le tour de force de raconter, 527 pages durant, l’histoire de son amitié avec Xavier de Ligonnès, le récit chronométré du massacre de Nantes et la cavale mystérieuse de son ami de jeunesse. Sans jamais verser dans la compassion nostalgique ou la dramatisation façon tabloïd british, il démêle les ficelles de l’énigme De Ligonnès en explorant des territoires obscurs jamais évoqués avant lui. Secrets de famille, amours brisées, amitiés éternelles, petites magouilles et sociétés défaillantes : des frasques pas catholiques mais dont les auteurs ne ratent jamais la messe dominicale. Toujours élégamment posté sur une fine ligne de crête, témoin sensible et conteur inspiré, il embarque le lecteur dans un stupéfiant voyage dans le temps. Entre Versailles la royale et l’Amérique rêvée des seventies et ses Cadillac rutilantes en passant par Roquebrune-sur-Argens et Pornic. À la fois portrait psychologique de l’auteur présumé d’un quintuple meurtre familial et radioscopie sociologique d’un fascinant microcosme à particules, L’ami impossible est aussi une enquête richement documentée qui fourmille d’informations exclusives. Une investigation menée de main de maître par Bruno de Stabenrath, enquêteur littéraire à l’écriture ciselée et poétique. En tournant les pages de ce gros livre addictif, on croit parfois entendre le vinyle 33 tours des Beach Boys grésiller sur la platine de Xavier, les rires francs des deux amis en train de faire vrombir leurs motos dans Versailles by night ou encore l’écho de la voix enjouée d’Agnès de Ligonnès appelant les enfants dans le jardin. Des fracas de vie qui se sont tus à jamais une nuit d’avril 2011 au 55, boulevard Schumann à Nantes. N.N

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