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Ce que tout dictateur sait : les jeunes hommes sont des fanatiques nés !

dielinke sachsen/Flickr

Terroristes, extrémistes, radicaux de tous poils… Le fanatisme attire souvent des hommes tout juste majeurs. La radicalité serait-elle un mal du jeune mâle ? Une analyse de Joe Herbert, professeur émérite de neurosciences au Cambridge Center for Brain Repair de l’Université de Cambridge. Il est notamment l’auteur du livre Testostérone: Sex, Power, and the Will to Win (2015).

Les jeunes hommes sont particulièrement susceptibles de devenir des fanatiques. Tous les dictateurs, les gourous et les chefs religieux le savent bien. Les fanatiques s’identifient radicalement à une cause (une religion, par exemple) ou une communauté (un gang, une équipe…) et entretiennent un lien étroit et exclusif avec les autres membres de ce groupe. Ils prennent le risque d’être blessés ou même tués pour le bien de leur communauté. Ils considèrent les personnes qui n’en font pas partie comme des étrangers, voire des ennemis. Mais pourquoi y a-t-il autant de jeunes hommes parmi les fanatiques ?

Dans un monde composé d’États-nations, les jeunes hommes ont de tout temps participé aux guerres qui ont formé la plupart des pays. Il en va de même pour les tribus, les villages et les factions. Les jeunes hommes ont des qualités qui les spécialisent pour cette fonction essentielle. Ils s’identifient facilement à leur groupe, nouent des liens étroits avec ses autres membres et ont tendance à suivre un leader. C’est la raison pour laquelle ceux-ci peuvent être facilement influencés par la culture dominante dans laquelle ils vivent. Et c’est aussi pourquoi ils sont si facilement attirés par des leaders charismatiques ou des modes de vie qui leur promettent l’appartenance à des groupes restreints avec des objectifs et des valeurs bien définis. Ils aiment prendre des risques au nom de leur groupe et sous-estiment généralement le danger inhérent. Sans ces aptitudes spécifiques, ceux-ci seraient moins disposés à faire la guerre.

Un cerveaux masculinisé par la testostérone

Pourquoi les jeunes hommes agissent-ils de cette manière ? En partie à cause de la testostérone, l’hormone mâle qui agit sur leur cerveau au début de la vie fœtale. L’exposition à la testostérone dans l’utérus «masculinise» le cerveau – en lui attribuant certaines propriétés, y compris l’identité sexuelle, ainsi qu’une préférence pour les modèles de jeu qui impliquent un contact physique et même des combats. Nous le savons parce que les filles exposées à des niveaux anormaux de testostérone pendant cette période montrent un comportement similaire, mais beaucoup moins caractérisé. À la puberté, une seconde poussée de testostérone va non seulement réveiller la sexualité mais aussi encourager diverses stratégies de compétition pour conquérir une partenaire – y compris l’utilisation de l’agressivité et des comportements à risque. Mais l’hormone masculine est loin d’être le seul facteur intervenant dans la fabrication d’un fanatique.

Des lobes frontaux immatures

La testostérone agit sur une partie archaïque du cerveau, le système limbique.  Notre système limbique ressemble beaucoup à celui des autres primates, comme les chimpanzés. Les rats en ont un aussi, que l’on peut facilement reconnaître. Mais cette partie du cerveau humain est régulée par une zone qui se développe bien après : les lobes frontaux, qui se trouvent derrière notre front. La sagesse populaire reconnaît d’ailleurs leur importance : en anglais nous appelons ainsi les gens brillants des « highbrow  », ce qui veut dire « grands fronts . Nous exprimons ainsi le fait que leurs lobes frontaux doivent sans doute être plus grands. Les lobes frontaux jouent un rôle dans la personnalité, les interactions sociales et la maîtrise des émotions. S’ils sont altérés (comme lors d’un accident), cela peut avoir des conséquences sur le comportement social de la personne et son jugement.

Or, fait important, les lobes frontaux des hommes n’atteignent leur maturité qu’à la fin de la vingtaine, alors que ceux des femmes mûrissent plus tôt. Cette partie du cerveau est très réactive aux signaux sociaux et au comportement des autres. Cette immaturité cérébrale peut expliquer certains comportements que l’on retrouve souvent chez les jeunes hommes : ils peuvent être bruyants, téméraires, déraisonnables, agressifs (mais aussi non conformistes et donc innovants). Des caractéristiques qui peuvent constituer un avantage évolutif pour le groupe dans son ensemble. Mais cette combinaison entre une testostérone anarchique et un lobe frontal immature explique aussi pourquoi les jeunes hommes aiment prendre des risques et sont sujets au fanatisme.

Le rôle de l’environnement social

Bien sûr, tous les jeunes hommes, même les fanatiques, ne deviennent pas des terroristes. Ils ne sont bien sûr pas tous semblables. Des facteurs sociaux entrent en jeu. De nombreux terroristes sont ainsi issus de milieux criminels ou défavorisés. Nous savons qu’un enfant qui a souffert de négligence ou d’abus peut développer un comportement antisocial ou déviant plus tard dans la vie. L’environnement social d’un individu, en particulier au début de sa vie, peut avoir des implications comportementales durables. Nous commençons à nous faire une idée sur la façon dont les conditions de vie peuvent entraîner des changements persistants ou même permanents dans le cerveau. Mais jusqu’à présent, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour les soigner. Nous nommons « psychopathes » les personnes qui négligent les relations humaines normales, ce qui implique que leur «psyché» (esprit)est anormale. Nous savons également qu’il existe des personnes qui développent des traits sociaux génétiquement anormaux (l’autisme en est un exemple) indépendamment de leur éducation. Nous ne savons pas quelles sont les anomalies cérébrales à l’origine de ces troubles. Néanmoins, leur nature – un comportement social et des relations interpersonnelles anormaux- montrent que le problème vient sans doute des lobes frontaux, bien que d’autres zones du cerveau puissent également être impliquées.

Pour s’imposer dans le groupe

Les mâles de nombreuses espèces animales, y compris les humains, désirent acquérir un statut social élevé. Plusieurs primates non humains fonctionnent ainsi selon un système de domination clair. Un statut plus élevé donne un meilleur accès à la nourriture, aux abris et aux partenaires. Cette hiérarchie est alors principalement fondée sur les prouesses physiques : les mâles se battent ou se menacent pour déterminer leur position relative. Cela se produit bien sûr également chez les humains. D’autant que le cerveau humain a développé d’autres systèmes de classement, comme ceux basés sur l’argent, la naissance ou la capacité technique. Le développement des armes à projectiles a réduit notre dépendance à l’égard de la force musculaire, mais a mis l’accent sur d’autres traits, tels que la cruauté, la bravoure et le leadership. Les membres d’un groupe de fanatiques sont sans cesse en compétition. La plupart tentent de grimper dans la hiérarchie du groupe. Une telle attitude est particulièrement attrayante pour ceux qui, dans le reste de leur vie, ont peu de raisons de penser qu’ils occupent un rang élevé.

Par conséquent, le membre d’un groupe fanatique peut commettre un acte terroriste ou agressif uniquement pour prouver sa valeur aux yeux des autres et attirer sur lui une attention qui, autrement, lui serait inaccessible. C’est une façon moderne de satisfaire un besoin biologique ancien : obtenir ou maintenir un statut social élevé et se faire respecter par les autres hommes de son groupe. En résumé, le cerveau masculin a tendance à nouer des liens avec d’autres hommes (comme des gangs de rue), à se reconnaître et à s’identifier à un groupe qu’il va défendre contre d’autres groupes rivaux, avec lesquels il va rentrer en compétition pour les ressources. La constitution hormonale du jeune homme et l’état de développement de son cerveau à cet âge précis de la vie augmentent sa sensibilité au fanatisme et le rendent enclin à prendre des actions risquées au nom de son groupe.

Le cerveau humain a inventé des catégories d’identité apparemment inconnues chez les autres espèces, y compris celles basées sur des croyances communes ou des points de vue éthiques. Aujourd’hui, l’identité est de plus en plus liée à des croyances. L’énorme cerveau humain a permis aussi l’invention d’armes; celles-ci ont donné aux fanatiques des moyens de plus en plus efficaces afin d’étendre leur domination en terrorisant les autres.  Les gènes, les premières expériences, l’état hormonal, la maturité ou non de son cerveau et le contexte social dans lequel il se trouve, peuvent transformer un jeune homme en un fanatique. Un état cérébral qui est une mutation dangereuse d’un rôle biologiquement essentiel pour les jeunes hommes. Notre tâche est de reconnaître ce que pourrait être cet état cérébral, comment il survient et, si possible, de le contrer.

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Joe Herbert
Article initialement publié sur le site aeon.co le 1er février 2016

Sources et références :
“Lire pour aller au fond des choses”, tel est le slogan du site Aeon, fondé en septembre 2012 à Londres par deux chercheurs australiens Brigid et Paul Hains. Spécialisé dans le débat d’idées et la culture, Aeon publie des contributions de penseurs, chercheurs ou écrivains.

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