Vous êtes parrain et de la Fondation pour la recherche médicale (FRM) et vous prenez très à cœur ce rôle. Quel sens donnez-vous à cet engagement personnel et pourquoi êtes-vous tant investi sur cette question ?
Thierry Lhermitte : « Je me suis toujours intéressé à la science. Avant d’être parrain de la FRM, j’ai été deux fois parrain du Téléthon et aux côtés de l’Association française contre les myopathies (AFM). J’avais donc conscience de la grande souffrance des patients atteints de maladies sans véritable traitement. Il y a une quinzaine d’années la Fondation pour la recherche médicale m’a contacté et j’ai été de plus en plus impliqué dans le soutien à la Recherche Médicale. Depuis quelques années, je visite des laboratoires de recherche une fois par mois et je vais en parler dans les médias en particulier en assurant une chronique sur France-Inter dans laquelle je rends compte des travaux des chercheurs et de leurs projets. Je suis fier de faire connaître leurs expériences et leurs découvertes au grand public car ce sont tous ces petits pas réalisés au quotidien dans les laboratoires qui aboutissent à de grandes découvertes scientifiques. »
Qu’est-ce qui vous séduit dans la démarche scientifique ? Depuis le début de la pandémie, on assiste à une remise en cause assez inédite de la parole des médecins, des spécialistes…
Thierry Lhermitte : « La démarche scientifique nécessite de prouver ce que l’on dit ferait du bien à plein de gens ! On s’interroge souvent sur l’utilité de la recherche : que fait la recherche ? Et bien elle cherche et ce travail est long car le vivant est complexe. Dans le contexte que nous traversons, la science éclaire, apporte des éléments utiles à la décision. Mais ce sont les politiques qui choisissent l’option qui leur semble la mieux adaptée à la situation. Quant au discours qui consiste à tout remettre en cause systématiquement, à voir des complots partout, je trouve cela calamiteux ! J’observe les débats sur les réseaux sociaux et c’est effarant : on est loin de l’esprit critique constructif, on est dans un tout autre registre qui n’accorde aucune importance à la fiabilité des sources, à la qualification et l’expertise des personnes… Cela dit, ce n’est le fait que d’un petit nombre de gens … mais ils font beaucoup parler d’eux ! »
A lire aussi : Complotisme, une drogue dure pour le cerveau
D’où vient votre intérêt pour les neurosciences cognitives, le fonctionnement du cerveau et les interactions qu’il entretient avec notre corps, nos pensées, nos émotions… ?
Thierry Lhermitte : « Ce que je trouve extraordinaire, c’est que les neurosciences nous renvoient tous à nos propres expériences et nous invitent à en comprendre le sens.Le cerveau, lui, ne cesse de nous étonner ! La manière dont il peut réagir, par exemple, à certaines substances me fascine. Vous n’êtes pas bien, contrarié, vous prenez un verre d’alcool et votre humeur devient quelque fois plus légère… Une personne vous rassure et vous allez un peu mieux. La chimie crée de la pensée et des émotions et, dans l’autre sens, la pensée, les émotions créent de la chimie. C’est fascinant… »
La chimie crée de la pensée et des émotions et, dans l’autre sens, la pensée, les émotions créent de la chimie. C’est fascinant…
Et qu’est-ce que cela vous apporte à titre personnel ? Qu’avez-vous appris sur vous-même grâce aux neurosciences ?
Thierry Lhermitte : « D’abord à pouvoir me regarder et m’interroger, me demander comment ça se fait ? Comment cela est possible ? Quels sont les processus qui interviennent dans toute cette chimie cérébrale et comment ceux-ci peuvent agir sur mon état, sur la perception que j’ai de moi-même, de mon environnement, des autres… L’intérêt, finalement, c’est de pouvoir faire un pas de côté par rapport aux schémas préconçus, d’apprendre à voir les choses différemment en étant un peu conscient de ce qui se passe en nous. »
Avez-vous lu le livre « Le cinéma intérieur, projection privée au cœur de la conscience » du neurologue Lionel Naccache ? L’homme, selon lui, est un créateur de fictions qui vit dans un monde dont il produit le sens, comme dans un film… Que vous inspire ce rapprochement entre le cerveau humain et le grand écran ?
Thierry Lhermitte : « Oui bien-sûr, je l’ai lu et Lionel est un ami. Il fait un rapprochement très intéressant entre la manière dont notre cerveau reconstruit en permanence le réel à partir de la perception qu’il a du monde extérieur. Je pense cependant que notre cerveau ne fonctionne pas tout à fait comme le cinéma qui est linéaire avec une histoire, un début, une fin… Le cerveau humain est capable de faire bien plus que le cinéma ! Il est d’une créativité inouïe car il ne cesse de réinterpréter le réel en permanence après avoir perçu les images avec une fréquence de 13 images par seconde. Les mécanismes de la mémoire sont tout aussi fascinants dans leur dimension cinématographique. Par exemple, si vous vous demandez quel est le souvenir que vous avez de votre petit déjeuner, vous ne voyez pas seulement ce que vous avez devant vous sur la table mais la scène complète de ce moment avec vous dans le champ ! Vous n’apparaissez pas comme un élément extérieur à cette image mais vous êtes inclus dedans comme si une caméra extérieure projetait le souvenir dans votre cerveau. »
Le cerveau humain est capable de faire bien plus que le cinéma ! Il est d’une créativité inouïe car il ne cesse de réinterpréter le réel en permanence avec une fréquence de 13 images par seconde.
Vous êtes un amoureux des chevaux et vous enseignez l’équitation éthologique. Qu’est-ce que cette proximité avec ces animaux vous apprend sur vous-même ? Les chevaux, dit-on, révèlent beaucoup de notre humanité…
Thierry Lhermitte : « J’ai d’abord appris qu’il était possible de tisser une relation mutuellement satisfaisante avec le cheval en dehors de la coercition, de toutes les mauvaises habitudes dont nous avons hérité… Historiquement, le cheval a toujours été considéré comme un outil de travail ou de guerre au service de l’homme. L’approche éthologique sort de cette tradition et nous enseigne que nous pouvons installer un certain confort dans la relation homme-cheval. C’est un comportement global, une forme d’éducation de l’animal qui a pour but de créer un lien de qualité, de la confiance, du respect. Et cela passe, par exemple, par cesser de demander ce qui est déjà donné. »
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Thierry Lhermitte : « Si je vous demande de lever votre bras, que vous le faites et que malgré tout je continue à vous demander de lever votre bras, vous allez soit me prendre pour un fou, vous mettre en colère contre moi, rompre la relation ou encore ressentir de la peur, un malaise… Eh bien, le cheval ou votre chien, lorsqu’il est traité de cette manière réagira de la même façon. Il ne comprendra pas ce que vous lui demandez et n’aura pas envie de coopérer. Cette expérience avec les chevaux m’a appris à mieux me positionner dans la relation humaine. À mieux comprendre, aussi, les rapports que je veux avoir avec les gens. »
Cette expérience avec les chevaux m’a appris à mieux me positionner dans la relation humaine. À mieux comprendre, aussi, les rapports que je veux avoir avec les gens.
En plus de l’équitation, vous avez pratiqué avec beaucoup passion deux autres disciplines sportives : le karaté et la voile. Un hasard ?
Thierry Lhermitte : « J’ai récemment réfléchi à cette question… Et je me suis demandé ce que ces choix avaient en commun. Ces trois disciplines se ressemblent : elles sont dangereuses. Peut-être qu’une de mes motivations, plus ou moins consciente, était donc de vaincre ma peur. De dépasser les freins psychologiques qui pouvaient me dissuader de pratiquer ces sports où le risque, même s’il peut être maîtrisé, est omniprésent. »
Il y a quelques mois, avant la fermeture des théâtres, vous interprétiez seul en scène une pièce adaptée de Fleurs du soleil – le livre de Simon Wiesenthal qui a passé sa vie à traquer les criminels de guerre nazis – dans laquelle vous questionniez le pardon. Alors, peut-on tout pardonner et même l’impardonnable ?
Thierry Lhermitte : « Je devrais d’ailleurs être en représentation en ce moment… Pour en revenir à la pièce, j’ai accepté ce rôle avec une certaine perplexité au début. Puis je l’ai accueilli un peu comme une mission, une transmission même beaucoup plus qu’une interprétation classique. Parmi les différentes lettres lues sur scène, ma préférence va à celle de l’écrivain roumain Petru Dumetriu qui écrit : « Il me semble que la civilisation est toujours à recommencer ; qu’elle n’est pas un état de grâce, mais bien un travail continuel sur soi-même et les autres, dans la direction indiquée par l’expérience et par l’espoir. L’homme est une question de persévérance. » Rien n’est jamais acquis et l’effort à fournir est donc perpétuel pour rester civilisé… Et pour répondre précisément à votre question : non, on ne peut pas tout pardonner sans conditions ! »
Propos recueillis par Nasser Negrouche
Ajouter un commentaire