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Claire Stride : « Ce n’est pas à l’enfant atypique de s’adapter au système, mais bien le contraire ! »

Ils sont autistes, « zèbres », « hypersensibles », « hauts potentiels », « dys » … Réputés ingérables, souvent discriminés. Mais qui sont donc ces enfants atypiques qui révèlent notre incapacité collective à leur faire une place dans la société ? Et comment mieux les accueillir et les inclure dans le respect de leurs différences ? Les réponses de Claire Stride, auteur d’un livre bien documenté sur ces enfants « hors cases »*. Hier elle-même « atypique », cette coach en intelligence relationnelle accompagne aujourd’hui familles et éducateurs.

Pouvez-vous d’abord nous dire ce qu’est un enfant « neuro-atypique » et à partir de quand peut-il être objectivement défini ainsi ?

Claire Stride : « Un enfant neuro-atypique (tout comme un adulte), est un enfant dont le cerveau présente un câblage neuronal différent par rapport au plus grand nombre. Les scientifiques ont prouvé, IRM à l’appui, que le cerveau des personnes avec des troubles dys comme la dyslexie, la dyscalculie, la dysphasie, la dyspraxie, ceux avec un haut potentiel, ceux avec des troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et ceux dans le spectre de l’autisme (TSA, connu auparavant sous le nom de autistes asperger) présentent des spécificités neuronales avérées. Ils ont plus de neurones, avec davantage de ramifications, concentrés à des endroits particuliers, qui varient selon les cas.

La définition objective de la neuro-atypicité est un défi ! Les symptômes de chaque particularité sont divers. Certaines personnes traversent toute leur enfance et adolescence sans être détectés, d’autres le découvrent à l’âge adulte en devenant eux-mêmes parents. Il y a de nombreux paramètres qui entrent en jeu.

L’école est le premier endroit où les symptômes peuvent être identifiés notamment par rapport aux relations sociales, aux compréhensions de consignes, à l’organisation.

D’autres parents le détectent plus tôt, avec l’apprentissage de la parole ou de la marche. Certains sont très en avance, d’autres très en retard (toujours par rapport à une norme). Il demeure difficile de faire la différence entre un enfant simplement en avance et un enfant précoce. Les diagnostics se font à partir de 4 ans, jusqu’à l’âge adulte, tant pour la précocité que pour les troubles dys. L’analyse du comportement de l’enfant dans le cadre de la recherche d’un TSA peut se faire à partir de 18 mois. »

Quelles sont les troubles « dys » les plus répandus en France et quelles sont leurs caractéristiques respectives ?

Claire Stride : « Il semble plus opportun de parler des troubles les plus connus, certaines personnes vivant avec sans le savoir. Comme je l’annonce au début de mon livre, selon l’INSERM, pour les enfants scolarisés : 3 à 5 % de cas de dyslexie ; 5 à 7 % des enfants de 5 à 11 ans relèvent de la dyspraxie ; pas de pourcentage pour la dyscalculie ; 2 % des enfants relèvent de la dysphasie, 3 à 5 % des troubles de l’attention. Il est précisé que dans 40 % des cas, les troubles sont multiples. Selon la Fédération française des dys : en France, 6 à 8 % de la population a des troubles dys. Dans une classe, on peut dire que 4 à 5 % des élèves sont dyslexiques, 3 % sont dyspraxiques et 2 % sont dysphasiques. Prenons ces chiffres avec réserve.

Rappelons que les troubles cognitifs spécifiques que sont les « troubles dys » et les difficultés d’apprentissages qui en résultent apparaissent progressivement, peuvent être masqués par d’autres facteurs et persistent à l’âge adulte.

De nombreux profils passent « entre les mailles du filet », jugés « lents », « incapables », « ne faisant pas d’effort ».

Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la dyslexie toucherait entre 8 et 10 % des enfants. Béatrice Sauvageot (orthophoniste et directrice de l’association puissance dys), quant à elle, estime que 12 % de la population est concernée. Nous n’avons aucun chiffre concernant les adultes. Pourquoi le pourcentage serait-il différent ? Si nous pouvons mieux vivre nos troubles, ils ne disparaissent pas. »

Quelles sont les spécificités de ces différents troubles dys ?

Claire Stride : « La dyslexie est le plus connu et concerne la lecture et la compréhension de l’orthographe. Les yeux des dyslexiques ne voient pas de la même façon. Ils captent beaucoup de détails et peinent en même temps à « faire la mise au point » dirais-je sur les lettres. D’où de nombreuses confusions, inventions de mots, etc…

La dysorthographie est liée bien souvent à la dyslexie. Elle concerne comme son nom l’indique, la difficulté à fixer les logiques d’orthographe.

La dysgraphie concerne la capacité de l’enfant à former les lettres. Son écriture est hésitante, il appuie avec force sur le stylo et chaque trait est une épreuve.

La dyspraxie est un dysfonctionnement au niveau des gestes, des mouvements. Il y a un décalage entre ce que le cerveau veut faire et théorise, et l’exécution même de ce geste. Ces enfants peinent en général à nouer leurs lacets ou faire des tâches méticuleuses.

La dyscalculie concerne les chiffres et les opérations mathématiques. Il se manifeste dans tout ce qui est en lien avec l’usage des nombres comme compter, écrire les nombres, faire des opérations mathématiques et de la géométrie, apprendre les tables de multiplication, penser les formes dans sa tête, se repérer dans l’espace et comprendre les problèmes posés.

Enfin la dysphasie est le trouble de la parole. Il se manifeste tant dans son apprentissage que dans sa pratique.

Pour chaque trouble dys, il existe différents stades et comme évoqué plus haut, nous parlons souvent de multidys, chaque spécificité pouvant être alliée à une ou deux autres, voire plus. »

Concrètement, dans la vie quotidienne, comment ces différences vont-elles se manifester et quelles difficultés vont-elles poser aux enfants, à leurs parents et à leur environnement social ?

Claire Stride : « Dans les grandes lignes, cela a un lien avec le rapport aux autres, l’affect, le besoin de rituels, une profonde peur de l’abandon, une grande créativité, un rapport au monde différent, plus proche de la nature.

Les manifestations sont variées et subtiles car tout est une question d’intensité. L’enfant est « plus » triste, « plus » curieux, « plus » en colère, « plus » débrouillard, « moins » rapide, « moins » concentré, « moins » minutieux, « trop » sensible, « trop » pertinent, « trop » rêveur, etc.

C’est un enfant qui surprend, qui bouscule les codes et qui a sa propre vision du monde. Observez ses apprentissages dans tous les domaines, ils sont différents.

Les relations sociales et affectives sont particulières. L’enfant peut être en retrait du monde et ne pas apprécier la compagnie des autres enfants, à part pour leur apprendre des choses, ce que l’on retrouve souvent chez les TSA. Ils peuvent à l’inverse être demandeurs de manifestations d’affect très poussé en réclamant des câlins et des « je t’aime » tout le temps, ce qui caractérisent davantage les personnes avec troubles dys. Ce ne sont pas des généralités bien évidemment. »

Ces enfants sont souvent stigmatisés par la société, à l’école notamment, et on culpabilise même parfois leurs parents… Comment interprétez-vous ces discriminations et comment réagir face à elles ?

Claire Stride : « Tout ce qui est différent dérange. Tout ce qui ne rentre pas dans le moule, dans le cadre, tout ce qui fait des vagues. J’ai souvent eu la sensation d’être dans un monde aseptisé où les moutons étaient de rigueur. L’enfant neuro-atypique voit autrement ce qui l’entoure. Il a le don de mettre l’autre face à ses incohérences, face à ses peurs. Imaginez ce qu’il en est en cours quand l’enseignant se sent remis en question dans ses compétences !

Ces troubles ont longtemps été peu connus et assimilés à des troubles mentaux, de la paresse, de l’insolence. L’enfant neuro-atypique perturbe les codes. C’est humain de le rejeter. C’est encore plus humain de dépasser sa peur, de chercher à le comprendre et de communiquer avec lui.

Ce n’est pas l’enfant qui doit s’adapter au système, mais bien le contraire ! Il appartient à chacun de faire la démarche d’inclusion, d’intégration, ou tout simplement d’accueil de cet enfant atypique.

J’encourage vivement les enseignants et les familles à communiquer ensemble pour aider l’enfant au mieux et à recourir aux nombreux professionnels présents même sur YouTube. »

Quels sont les besoins psychologiques/émotionnels particuliers de ces enfants et comment leurs parents peuvent-ils réussir, malgré tout, à y répondre pour faciliter leur intégration dans une société plutôt hostile ?

Claire Stride : « Être aimé est être compris sont les principaux besoins psychologiques et émotionnels des enfants atypiques, comme pour tout un chacun. Pour eux, c’est « encore plus » important car ils risquent de se renfermer sur eux-mêmes, de se faire du mal, de déprimer voire de mettre fin à leurs jours. Le taux de suicide élevé chez les jeunes atypiques est une réalité. Tout est une histoire de codes. Je découvre en tant que parent les codes de mon enfant avec lui, la façon dont il fonctionne. Je lui explique avec d’autres ceux de la société. Je lui apprends la différence entre les deux et je lui montre comment s’intégrer et j’explique aux autres comment l’intégrer. C’est une sacrée aventure !

De nombreux enfants atypiques sont sensibles aux bruits, à la lumière, aux textures. Ils ne savent pas toujours l’expliquer. Cela demande un apprentissage de lecture, de décryptage, de ce qui ne va pas chez l’enfant.

Il est primordial d’écouter la réalité de l’enfant, de l’accepter, de ne pas s’en moquer ni de la dévaloriser. Le fameux « ce n’est pas grave » fait des ravages car pour lui, c’est grave. Faire confiance à son enfant est également essentiel. Il est formidable, sa différence est une grande richesse ! ».

Quelles sont les principales autres recommandations que vous pouvez livrer aux parents de ces enfants « atypiques », pour les aider à mieux accompagner leur différence ?

Claire Stride : « Le premier est d’en finir avec la culpabilité et de ne pas considérer son enfant comme un problème. Cela peut paraître un peu « cash » comme conseil et c’est pourtant celui que je suis amenée à donner le plus souvent. Il y a tant de parents qui ont peur pour leur enfant atypique, pour son avenir, pour son intégration…qui culpabilisent et essaient d’étouffer toutes différences. C’est peine perdue. Depuis 20 ans, même si les choses ont changé au niveau de l’école, cela reste encore pour beaucoup un parcours du combattant et la déscolarisation considérée comme un dernier recours ou un acte d’épanouissement. Chaque situation est unique.

Je conseille aux parents d’en parler, de raconter leur réalité, de la partager avec leurs proches, les parents d’école, leur coiffeur, tout le monde ! Pratiquons l’acculturation à la neurodiversité ! Oui c’est dur mais oui c’est également magique d’avoir un enfant atypique ! Mettre l’accent sur ce qui est chouette, ce qui étonne, ce qui rend fier et heureux.

Rencontrer des familles atypiques elles-aussi, que ce soit en vrai ou sur les réseaux sociaux. Il existe des associations, des fondations, des groupes de parents, des webinaires, tout est accessible aujourd’hui. Parents, vous n’êtes pas seuls !

Enfin, je conseille de montrer à vos enfants que des personnes comme eux ont réussi. Vous pouvez citer Einstein, Winston Churchill, Elon Musk, la liste est longue. Et plus humblement, les personnes qui comme moi osent dire « je suis atypique et heureuse ! ». Il y a peu de temps, lors d’une formation, une femme m’a dit : « C’est un bonheur de t’avoir rencontré car ma fille est dyslexique et personne ne lui prédit un bel avenir. Or, te voir donne de l’espoir ! je vais lui dire que j’ai rencontré une dyslexique qui a réussi et que tout est possible ! »

Propos recueillis par Nasser Negrouche

* « Ingérable ou atypique ? Accepter et accompagner les enfants différents », par Claire Stride aux éditions Desclée de Brouwer (16,90 €)

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