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Les secrets du pardon animalier

On a longtemps pensé que seul l’humain pouvait pardonner… Mais certains animaux ont, eux aussi, la capacité d’absoudre les offenses.

L’eau est enfin à portée de trompe. Après des heures de marche, poussé par la soif, l’éléphant bouscule le pachyderme sur son passage pour s’installer au meilleur endroit et boire à sa guise. La tension monte. Mais le rustre s’approche de sa victime, et après avoir mis sa trompe dans sa bouche, la glisse dans celle de son congénère. Le geste fait partie du langage des éléphants. C’est ainsi qu’ils se consolent les uns les autres. Cette fois-ci, il s’agit pour le malotru de présenter des excuses. La scène racontée dans le livre Elephant Don (« le parrain éléphant », University of Chicago Press Books, 2015), de Caitlin O’Connell, l’une des meilleures expertes de l’espèce, est fascinante. De nombreuses autres espèces pratiquent la réconciliation. Certains animaux sont même des experts en techniques de résolution des conflits comme les dauphins ou… les hyènes !

Mais les animaux pardonnent-ils réellement ? Il ne faut pas confondre la réconciliation – une stratégie de négociation où deux individus décident de revenir l’un vers l’autre après un conflit, parfois par intérêt – et le pardon qui consiste à abandonner ses rancunes et à changer son regard sur celui ou sur celle qui nous a fait du mal. Une démarche qui exige d’avoir une conscience de soi et sans doute une forme de sens moral ou de spiritualité. La plupart des animaux se réconcilient d’abord pour réparer des liens, dans une logique de survie. Globalement, plus les individus d’un groupe sont interdépendants, plus ils sont doués pour faire la paix.

Le loup se réconcilie davantage que le chien

Le loup, dont la survie dépend de la meute, pratique ainsi la réconciliation bien davantage que le chien qui a tendance à opter pour l’évitement en cas de tensions avec un congénère. Les wallabys (des petits marsupiaux voisins du kangourou), qui vivent en groupe mais ne dépendent pas les uns des autres pour la satisfaction de leurs besoins vitaux, semblent avoir le choix : ils peuvent faire la paix si le conflit n’a pas été grave ou ignorer leurs semblables si les tentatives de réconciliation sont trop risquées. À l’intérieur d’une même espèce, les comportements sont à même de différer selon l’importance de la relation en jeu. La chercheuse américaine en biologie Marina Cords a montré, par exemple, dans les années 1990, que les macaques à longue queue (de petits singes qui vivent en Asie du Sud-Est) avaient tendance à se réconcilier plus facilement avec leur semblable si celui-ci s’était montré coopératif par le passé.

Un processus neuronal complexe chez l’homme

Chez l’homme, le pardon est un processus neuronal complexe. Des chercheurs de l’université de Pise, en Italie, ont ainsi étudié par IRM (Imagerie à résonance magnétique) les cerveaux de dix volontaires en situation de pardon. Résultat: lorsque nous pardonnons, nous stimulons le cortex préfrontal dorsolatéral, une zone qui régule les émotions, mais aussi le cortex inféro pariétal et le précuneus. Deux régions liées à l’empathie et à notre capacité à nous mettre à la place de l’autre. Par cette action, nous réévaluons l’événement traumatisant en des termes moins négatifs, et nous faisons un effort pour nous mettre à la place de la personne qui nous a fait du mal. Le pardon fait ainsi appel aux fonctions les plus évoluées du cerveau : les zones concernées sont, en effet, chargées de ce que les scientifiques nomment la « théorie de l’esprit »*, soit notre capacité à imaginer les pensées de l’autre, à lui attribuer des croyances. C’est grâce à cette faculté que nous sommes capables de pardonner plus facilement si la personne n’a pas « fait exprès », dans le cas d’un accident par exemple. Ou, au contraire, de condamner la seule intention de faire du mal, même si elle n’a pas été suivie d’effet…

Les chimpanzés ressentent de l’empathie

Difficile de savoir si certains animaux pardonnent de cette façon. Des découvertes récentes laissent pourtant penser que les éléphants et les grands primates pourraient avoir cette capacité. Nous savons déjà que ceux-ci éprouvent de l’empathie. En 2016, une étude publiée dans le magazine scientifique Science a même démontré l’existence de la « théorie de l’esprit » chez les chimpanzés, les bonobos et les orangs-outans. Des chercheurs britanniques ont ainsi soumis 40 de ces primates au visionnage de deux courts métrages où un homme déguisé en singe se joue d’un humain, soit en se cachant soit en dissimulant un objet devant l’humain, puis en changeant la cachette une fois l’humain parti. Grâce à un système de suivi du regard, les chercheurs ont démontré que dans les deux scénarios, au retour de l’humain, la majorité des singes regardaient l’endroit où l’homme avait vu pour la dernière fois l’objet de convoitise avant de partir. Autrement dit, les primates anticipent les croyances de l’autre, même si celui-ci se trompe. Cette découverte pose des questions : jusqu’à quel point ces animaux sont-ils capables d’imaginer les pensées de l’autre ? Peuvent-ils, par exemple, imaginer que leur agresseur ait en quelque sorte des circonstances atténuantes ?

Le duo vengeance pardon

Pour Michael McCullough, un chercheur américain en psychologie, auteur d’un livre sur le sujet (Beyond Revenge. The Evolution of the Forgiveness Instinct « Au-delà de la vengeance. L’évolution de l’instinct de pardon », Jossey-Bass, 2008), loin d’être une capacité extraordinaire, le pardon ferait partie d’une stratégie double de survie mise progressivement en place chez l’humain, mais aussi chez ces animaux sociaux. Ce serait le tandem formé par la vengeance et le pardon qui aurait permis de survivre en groupe, de maintenir les membres d’un clan ensemble. Peu à peu, le pardon est devenu une faculté mentale. Chez l’homme, celui-ci est même devenu une sorte de pansement émotionnel qui lui permet de ne pas se détruire par le ressentiment, un véritable poison pour sa santé… 

Muriel Sainte-Croix

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