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Rêves fous, cauchemars terrifiants, insomnies : comment le virus contamine aussi nos nuits !

Depuis le début de la pandémie, nos nuits sont peuplées de rêves encore plus intenses et étranges. Une façon pour notre cerveau de gérer le trop plein d’émotions négatives et nous préparer à mieux faire face aux épreuves.

Mais pourquoi donc votre patron s’est-il mis à vendre des pangolins ? Il est en train de vous expliquer les avantages du commerce de cet animal à écailles quand soudain, vous apercevez votre voisin injectant ses postillons contaminés avec une paille dans la fente de votre boîte à lettres. Glacé.e d’effroi, vous prenez vos jambes à votre cou ! Et vous vous retrouvez, le souffle court, courant le long d’un couloir interminable. Pris.e en chasse par une foule de vacanciers en short… qui ne respectent pas du tout les règles de distanciation sociale.
Bien sûr, ce n’est qu’un coronadream, un de ces rêves étranges et intenses qui hantent nombre d’entre nous depuis le début de la pandémie. Nos rêves de confinement, c’est un fait, ne ressemblent pas à des songes ordinaires. Plus nombreux, plus intenses, plus effrayants aussi, ils mettent en scène le sentiment d’enfermement, les tensions liées à ce huis clos imposé ou la peur de la contamination. Nous y incorporons aussi les fameux « gestes barrière ». Les monstres s’y baladent parfois masqués. La distanciation sociale s’y applique aux habits que l’on met à sécher sur le fil à linge ou aux aliments dans notre assiette… Pour compenser le manque de relations sociales, nous rêvons de fêtes entre amis, ou nous nous échappons de notre minuscule appartement parisien en volant par-dessus les toits de la capitale. Les lieux que l’on assimile à la convivialité deviennent des décors récurrents comme pour ce journaliste irlandais qui, depuis le début du confinement ne cesse de rêver du pub au coin de sa rue…

Homéostasie synaptique

Rien de plus normal : nos rêves sont directement liés à notre quotidien. Ils sont le reflet de notre journée. Pourquoi ? Parce qu’ils ont un lien avec la fabrication de notre mémoire. Le cerveau est ainsi sans cesse en train d’enregistrer ce que nous vivons. Chaque expérience de vie arrive ainsi via nos sens jusqu’à l’hippocampe, au cœur de notre boîte crânienne. Ce maître d’œuvre, sorte de gare de triage de nos perceptions, traite l’information et la projette sous forme de réseaux neuronaux – les traces mnésiques – dans les greniers de notre cerveau. Lorsque vous éteignez la lumière et plongez dans les bras de Morphée, votre cerveau continue, lui, de travailler et passe en mode « tri et recyclage ». Deux phénomènes semblent alors à l’œuvre. D’abord, un passage en revue des connexions neuronales activées lors des moments importants de votre journée. Ensuite, ce que les neuroscientifiques nomment le downscaling. Le cerveau semble alors actionner un variateur de lumière vers le bas : les réseaux neuronaux les plus puissants vont baisser d’intensité, tandis que ceux de faible intensité vont revenir à leur état initial, celui de l’oubli. Le tri entre ce que nous allons retenir ou non se fait ainsi. Un processus que les neuroscientifiques nomment l’“homéostasie synaptique”. Et qui se passe en grande partie de façon inconsciente. Plus un souvenir est chargé émotionnellement, plus il a des chances de passer le filtre.

Une boîte noire coupée du monde

Quel rôle jouent les rêves dans ce processus ? C’est encore un mystère. Les scientifiques ne le savent pas encore précisément. Pour certains, le cerveau profiterait ainsi des moments de sommeil pour évaluer des hypothèses. Il imagine des situations problématiques, évalue les différents scénarios possibles et la façon dont nous pourrions réagir… Une fonction vitale. Les chercheurs ont ainsi longtemps pensé que le cerveau ne faisait que réagir aux stimuli extérieurs. Or on sait aujourd’hui que son fonctionnement est globalement prédictif. Enfermé dans une boîte noire, telle une momie égyptienne, il n’a pas accès directement au monde extérieur. Seule une petite partie des informations venant de nos sens est véritablement traitée par le cortex. Le cerveau s’appuie sur ces infos parcellaires, les compare à ce que nous avons déjà vécu et émet des prédictions sur la réalité. Pour pouvoir réagir le plus vite et le mieux possible, il lui faut donc se préparer à ce qui pourrait arriver ! Le rêve aurait cette utilité : il nous permettrait de passer en revue des expériences problématiques et de tester des façons de les vivre au mieux. Objectif : la survie ! Comme une sorte de simulateur de vie.

Un entraînement mental

C’est notamment la thèse du neuroscientifique finlandais Antti Revonsuo. Selon lui, nous nous entraînons, en rêvant, à gérer les accidents, les maladies et les situations embarrassantes ou stressantes, avant de devoir les affronter dans la réalité. Antti Revonsuo soutient que cet entraînement mental aux situations dangereuses s’est même révélé très utile au cours de l’évolution. Or, depuis le début de la pandémie, notre cerveau est confronté à une situation inédite. Nos rêves nous familiarisent avec l’incertitude, lorsque, par exemple, nous nous retrouvons à bord d’une voiture lancée à toute vitesse, dont le pare-brise est obstrué ou dont les commandes ne répondent plus… Ils nous placent face au danger d’être infecté ou au risque d’être désigné comme facteur de contamination : « J’ai rêvé que je mettais une claque à une amie qui me faisait la bise, se souvient ainsi Marie. Puis je me prenais un coup de revolver à plomb de la part de mon voisin parce que j’étais trop près de lui »*. Ils mettent en scène aussi le dilemme que nous avons tous intériorisé : rester confiné ou sortir et prendre le risque de la contamination. « J’étais avec des amis en colocation, c’était la guerre entre nous, raconte par exemple Pauline, une Parisienne de 29 ans. On devait se séparer et une bombe explosait à côté de moi, je me précipitais à l’intérieur de ma maison, en me disant que j’étais finalement plus en sécurité à l’intérieur »*.

Pour détoxifier les peurs

D’autres rêves sont plus métaphoriques ou carrément absurdes. Deirdre Leigh Barret, une professeure de psychologie à la Harvard Medical School qui mène en ce moment une enquête en ligne sur les drôles de rêves du coronavirus, a ainsi remarqué que nos nuits confinées étaient peuplées d’insectes en tout genre : criquets se mettant à grignoter l’épaule du rêveur ou bien pluies de mygales. Elle a aussi noté que ces rêves étranges étaient plus intenses chez les médecins et le personnel soignant directement confrontés à la pandémie. Ce serait une façon de « digérer » les émotions négatives de la journée. Notre amygdale, l’une des zones du cerveau qui prend en charge la gestion de nos émotions et notamment de la peur, est ainsi très active lors du sommeil paradoxal, la période de notre cycle de sommeil pendant laquelle nous rêvons le plus. Pour les psychiatres américain et canadien Ross Levin et Tore Nielsen, les rêves nous permettent ainsi de « détoxifier » nos peurs, comme si nous passions nos souvenirs dans une machine à laver qui les nettoierait des affects trop négatifs.

Machine à purger les émotions négatives

Comment fait le cerveau pour désensibiliser nos souvenirs ? Il les «rejoue», la nuit venue, de manière désordonnée. Il se sert de métaphores, utilise des analogies, prend des raccourcis pour les vider de leur charge émotionnelle négative. Ainsi les mauvais rêves ne sont pas les reflets exacts des situations vécues mais plutôt de drôles d’assemblages. Des histoires sans queue ni tête, mélangeant des situations et des émotions, ce qui leur confère leur bizarrerie. Une sorte de « purge de la peur et des émotions négatives » (fear extinction, comme le nomment les scientifiques) qui nous permettrait de gérer nos émotions et de nous débarrasser de nos peurs infondées. « Le cerveau apprend rapidement de quoi il doit avoir peur, affirme ainsi Ross Nielsen dans un article du New York Times. Mais il faut bien qu’il y ait un mécanisme de contrôle de ce processus, sinon, nous continuerions de craindre à l’âge adulte ce qui nous effrayait dans l’enfance. » C’est lorsque les émotions rêvées sont trop fortes, qu’elles nous submergent, que nous nous échappons du rêve en nous réveillant. Les cauchemars seraient ainsi des échecs, des bugs, de ce processus de désensibilisation : nous n’avons alors pas réussi à réguler les angoisses, peurs et inquiétudes qui nous ont assaillis pendant la journée.

Judith Mercadet

Des rêves plus nombreux ?
Pourquoi avons-nous en ce moment le sentiment de rêver davantage qu’en temps normal ? Il semblerait que nous nous souvenions surtout davantage de nos songes. Selon une étude entamée en mars dernier par le Centre de Recherches en Neurosciences de Lyon (CRNL), le processus de remémoration des rêves chez les sondés a augmenté de 35 % depuis le début de l’épidémie. Cela peut s’expliquer par l’anxiété que nous ressentons en cette période de crise. Lorsque nous nous réveillons en pleine nuit, le cerveau met environ 5 minutes pour encoder ce que nous venons de rêver. Si nous nous rendormons avant, nous ne nous souviendrons probablement pas du rêve que nous venons de faire. Or, lorsque nous sommes stressés, nous avons tendance à rester éveillé plus longtemps. Notre cerveau dispose donc du temps qu’il lui faut pour stocker nos songes dans notre mémoire.

Sources et références
L’étude sur les rêves du CRNL : https://crnl.univ-lyon1.fr/index.php/en
L’étude d’Anti Revonsuo : https://www.researchgate.net/publication/232499090_Dreaming_and_consciousness_Testing_the_threat_simulation_theory_of_the_function_of_dreaming
L’étude de Ross Levin et Tore Nielsen http://www.drrosslevin.com/pdfs/Current_Directions_2009.pdf

*Les récits de rêves sont tirés d’un recueil de témoignages publié sur le site de 20 minutes.fr

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