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Les Balkany ou le « facteur de triche personnel »

Comment les Balkany, les Bonnie et Clyde du fisc français ont-ils pu ainsi multiplier les fraudes, tout en minimisant leur responsabilité ?

Ils ont, selon l’administration fiscale, escamoté 4,3 millions d’euros d’impôt sur le revenu et d’impôt de solidarité sur la fortune entre 2009 et 2015. La justice reproche à Patrick et Isabelle Balkany d’avoir sous-évalué la valeur de leur résidence principale et dissimulé au fisc la propriété de luxueuses maisons à Saint-Martin (Antilles françaises) et à Marrakech (Maroc). Mais comment les Bonnie et Clyde du fisc français ont-ils pu ainsi multiplier les fraudes, tout en minimisant leur responsabilité ?

Tricher oui, mais en restant quelqu’un de bien !

Pour comprendre le mécanisme implacable de la tricherie, Dan Arieli, un psychologue américain de l’Université Duke a théorisé ce qu’il nomme « Le facteur de triche personnel », « the Fudge factor » en anglais. En clair, le cerveau arbitre sans cesse entre les bénéfices personnels que nous pourrions tirer d’un acte malhonnête et l’image que l’on a de soi comme étant quelqu’un de bien.

Mais certains facteurs vont influencer ce calcul dans notre tête et nous pousser à tricher sans que cela ait des conséquences sur l’estime que nous nous portons. Parmi ceux-ci, il y a :

  • L’importance de la tricherie. Dan Arieli a mené l’expérience suivante : lui et son équipe ont demandé à des étudiants de résoudre pendant 5 minutes une série de problèmes de maths sans difficulté. Une fois le temps écoulé, ils devaient passer leur feuille d’exercice dans un destructeur de papier. Puis annoncer le nombre de problèmes qu’ils avaient réussi à résoudre à un membre de l’équipe. Celui-ci leur remettait un dollar par exercice résolu. Mais il y avait un piège : les feuilles n’étaient en réalité pas détruites, et les scientifiques ont pu voir qui avait triché ou pas. Résultats : seul un petit nombre de personnes (une vingtaine sur 45 000 participants) se sont révélées de grands tricheurs. Mais 70 % des participants ont commis de « petites » tricheries (la grande majorité d’entre eux ont affirmé avoir résolu 6 exercices alors qu’ils n’en avaient résolu que 4). Si la tricherie nous paraît minime, nous serons plus nombreux à sauter le pas. Pas si grave ? euh, pas vraiment. Les scientifiques de l’Université Duke ont fait leurs comptes : les gros tricheurs réunis (les 20) leur ont volé en tout 400 dollars tandis que les petits tricheurs tous ensemble, 50 000…
  • Le groupe. Si nous voyons une personne de notre groupe ( cela peut être n’importe quelle forme de groupe ) commettre un forfait, nous aurons tendance à sauter le pas et à faire de même plus facilement. Dans le cas des Balkany, on peut se poser la question de la dynamique de couple…
  • La distance d’avec l’argent. Si vous refaites l’expérience décrite ci-dessus non pas avec de l’argent mais avec des jetons que les participants échangent ensuite contre des billets, ces derniers trichent deux fois plus ! Un phénomène particulièrement fort dans le cas de la fraude fiscale, car il ne s’agit pas à proprement parler d’argent pris à l’Etat mais d’argent qui n’a pas été donné (nuance…).

Plus on fraude, moins on se sent coupable…

Problème : quand on se met à frauder, on risque de recommencer. Car plus on ment, moins on éprouve le sentiment de honte. Et en général, le second acte malhonnête est plus grave que le premier. Le premier mensonge va ainsi entraîner une réaction forte dans les zones liées aux émotions comme l’amygdale, (une partie du cerveau liée à la peur) et l’Insula. Au dixième mensonge, ces zones ne s’activent plus aussi intensément. Le cerveau s’habitue en quelque sorte. Pourquoi ? parce que celui-ci ne cesse de s’adapter ! C’est son mode de fonctionnement. Peu à peu, les sentiments négatifs liés au fait de mentir comme la culpabilité, la honte, vont s’estomper. C’est ce qui s’est sans doute passé avec les monarques de Levallois…

Muriel Sainte-Croix

Pour savoir plus (en anglais):

L’excellent dossier de Scientific American de septembre 2019 : https://www.scientificamerican.com/interactive/truth-lies-uncertainty1/

Un documentaire passionnant dans lequel intervient Dan Arieli :

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