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Pourquoi les fleurs nous rendent-elles si heureux ?

Erin Benzakein, fondatrice de Floret, une ferme familiale de fleurs aux Etats-Unis.

Elles ont le pouvoir de nous apaiser, nous faire sourire et d’éveiller tous nos sens. Fascinantes, parfois envoûtantes, les fleurs nous enchantent parce qu’elles font du bien à notre cerveau.

Des cascades de roses, de gerberas ou de lilas qui apparaissent comme par magie au croisement d’une rue, donnant soudain au mobilier urbain des airs de jardins anglais. Cela fait déjà quatre ans que Lewis Miller, un fleuriste new-yorkais régale les habitants de sa ville avec ses flower flash (comme des flash mob – ces rassemblements éphémères de personnes – mais avec des fleurs).

Ces installations spectaculaires n’ont jamais eu autant de succès que pendant la pandémie. « Lorsque le confinement a été imposé et que nous avons dû fermer notre atelier de design floral, nous avions encore beaucoup de fleurs dans notre réserve, se souvient-il dans une interview pour le magazine américain Galerie. Je me suis dit que si mes flower flash pouvaient avoir une utilité, c’était bien maintenant ! ». Avec près de 17 000 décès, New-York a été particulièrement touchée par le Covid-19. Alors, en prenant toutes les précautions sanitaires nécessaires, Lewis Miller a installé de nuit des bouquets géants et autres compositions florales éblouissantes devant les hôpitaux de sa ville. Une façon de remercier le personnel soignant pour son engagement auprès des malades. « Les réactions ont été incroyables, témoigne le designer floral. J’ai reçu d’ailleurs une lettre de remerciement très émouvante de la part du directeur d’e l’un des hôpitaux ».

Une histoire d’amour de 5000 ans !

En France aussi, les fleurs ont apporté un peu de joie pendant cette période sombre. Pendant le confinement, les ventes en ligne de bouquets ont fortement augmenté. Les Français ont eu une envie folle de fleurs pour égayer leur appartement. Ils ont aussi profité de ce cloisonnement forcé pour s’occuper de leur jardin. Et ont dévalisé les jardineries en ligne dont certaines ont vu leur vente tripler pendant cette période…

Mais pourquoi donc aimons-nous tant les fleurs ? Elles n’ont pas vraiment d’utilité, ne se mangent pas (enfin, pas toutes…) et ne durent même pas. Et pourtant, nous les cultivons depuis 5000 ans ! Selon Jack Goody, un anthropologue anglais qui a étudié leur rôle dans la plupart des cultures du monde, l’amour des fleurs serait quasiment universel. Il n’y a que dans certains pays d’Afrique que celles-ci ne joueraient presque aucun rôle dans l’observance religieuse ou le rituel social.

Et si les fleurs nous rendaient tout simplement heureux ? C’est ce qu’a montré la professeure de psychologie Jeannette Haviland-Jones de l’Université de Rutgers dans le New Jersey. En 2005, avec son équipe, la chercheuse a envoyé un cadeau différent à 147 femmes pour les remercier d’avoir participé à une enquête pour l’Université : une bougie, une corbeille de fruit ou…un bouquet de fleurs. Mais l’enquête n’était qu’un prétexte : le livreur des cadeaux, complice, avait pour mission de décrire précisément l’expression du visage de la personne recevant le présent. Résultat : toutes les femmes ayant reçu le bouquet de fleurs ont souri ! Attention, il ne s’agissait pas d’une simple expression de politesse mais d’une réaction spontanée. Un sourire dit de Duchenne, du nom de ce psychologue qui a décrit le sourire authentique : lorsque les yeux deviennent pétillants et étroits et que les pommettes s’élèvent.

« Lorsque j’ai vu que toutes les personnes ayant reçu un bouquet avaient réagi en faisant le Duchenne, je n’en ai pas cru mes yeux, s’étonne ainsi Jeannette Haviland-Jones dans une interview pour le magazine de l’université Rutgers. Lorsque vous faîtes une étude sur les émotions, vous n’obtenez jamais une réponse à 100 %, à part si vous jetez un serpent sur les gens. Alors là, oui, 100% d’entre eux vont avoir peur. Mais quand il s’agit d’émotions positives, jamais ! »

Une expérience sensorielle et émotionnelle

Intriguée, la psychologue a alors mené une autre étude mais cette fois-ci avec un public mixte, hommes et femmes, avec lesquels elle a testé d’autres comportements sociaux. Imaginez donc que vous ayez rendez-vous dans une tour. L’ascenseur qui doit vous emmener à l’étage souhaité s’ouvre devant vous.  À l’intérieur, se trouve un·e inconnu·e qui vous offre une fleur ou bien un stylo ou… rien du tout. Que faites-vous pendant les quelques minutes que va durer l’ascension ? « Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, hommes et femmes ont réagi de la même manière (quel que soit le genre de la personne face à eux) : ils ont davantage souri lorsque notre complice leur a offert une fleur qu’un stylo. Surtout, ils se sont tenus plus proche de lui (à une distance dite sociale plutôt qu’impersonnelle) et ont eu davantage tendance à engager la conversation », constate la chercheuse. « Les fleurs ont des effets immédiats et à long terme sur les réactions émotionnelles, l’humeur, les comportements sociaux et même la mémoire ».

Quels sortilèges utilisent-elles donc afin de susciter ces émotions bienfaisantes ? Le premier d’entre eux, est, bien sûr, le parfum. Jeannette Haviland-Jones a ainsi montré, dans une étude plus récente, que des fragrances naturelles de rose diffusées dans l’air à un niveau assez bas pour ne pas être détectées consciemment provoquaient des changements de comportement : les personnes testées utilisaient alors davantage de mots décrivant des émotions positives dans leurs propos. Et ils avaient tendance, comme dans l’expérience de l’ascenseur, à réduire la distance entre eux et leurs interlocuteurs. Plus étonnant : ce n’était pas le cas lorsque le parfum diffusé était synthétique.

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Les fleurs nous attirent aussi par leur beauté. Les couleurs vives, la symétrie des pétales agissent sur notre cerveau. « Celles-ci activent plusieurs zones de notre cerveau créant une expérience sensorielle stimulante, expliquent ainsi les chercheurs en psychologie Ephrat Huss, Kfir Bar Yosef et Michele Zaccai de l’Université de Ben Gurion en Israël qui ont comparé les réactions de volontaires face à des fleurs ou des mandalas (un dessin organisé qui gravite autour d’un point central). Les éléments de composition des fleurs tels que la couleur, la forme et le motif qui se répètent dans l’arrangement des pétales et au sein d’un groupe de fleurs similaires mêlent à la fois des éléments familiers et nouveaux. C’est ce mélange de familiarité et de nouveauté qui stimule le cerveau, nous donne le sentiment de pouvoir donner un sens au monde. Et ainsi améliore notre humeur. »

Selon le célèbre biologiste Edward Osborne Wilson, nous aurions aussi hérité cet amour des fleurs de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Une plante en fleurs était pour eux une promesse d’agapes à venir. Celui qui, par exemple, repérait que le mûrier à côté de sa caverne était en fleurs avant tout le monde, avait davantage de chances d’être le premier sur les lieux le mois suivant pour en récolter les baies. Peu à peu, au cours de l’évolution, leur vue, leurs odeurs ont installé en nous un automatisme : les fleurs déclenchent en nous une cascade de dopamine, le neurotransmetteur du circuit de la récompense. Et même de sérotonine, l’hormone du lien, lorsque nous les offrons à la personne qu’on aime ! Sans doute parce qu’en faisant cela, nous inscrivons cette relation dans la durée…

Une incroyable coévolution humains-fleurs

Mais il y a sans doute davantage… Pour Jeannette Haviland-Jones, les roses, dahlias et autres marguerites se seraient adaptées à nos désirs au cours de l’évolution. Comme elle, beaucoup de scientifiques considèrent aujourd’hui que fleurs et humains ont évolué ensemble. C’est ce qu’ils nomment la « coévolution » : lorsque deux espèces (ou davantage) évoluent en réponse aux changements de l’autre. « Nous avons peut-être offert aux fleurs un moyen de se multiplier (en les cultivant dans nos jardins). En échange, celles-ci nous ont offert… le plaisir » , explique Jeannette Haviland-Jones.

Les fleurs cultivées sont sans doute gratifiantes car elles ont évolué pour provoquer rapidement une émotion positive chez l’homme. Tout comme d’autres plantes ont évolué pour induire des réponses comportementales chez d’autres espèces. Objectif : la survie par la dispersion ou la propagation de leurs semences. Et si les fleurs nous considéraient de la même manière que les insectes pollinisateurs qui les butinent ? Et si nous, humains, étions pour les beaux dahlias et autres hémérocalles, les outils de leur propre survie, un peu comme de simples bourdons ?

Cela vous semble tiré par les pistils ? Pas du tout si l’on adopte le point de vue de la plante ! Imaginez que vous soyez incapable de vous mouvoir, planté là où on vous a mis… « Si vous y réfléchissez, l’enracinement est une énorme contrainte évolutive, explique ainsi le généticien américain Daniel Chamovitz dans son livre La plante et ses sens. Cela signifie que les plantes ne peuvent pas échapper à un mauvais environnement, ni migrer à la recherche de nourriture ou d’un compagnon. Les plantes ont donc dû développer des mécanismes sensoriels incroyablement sensibles et complexes qui leur permettent de survivre dans des environnements en constante évolution ».

Des super stimuli pour notre cerveau !

Les fleurs utilisent ainsi une gamme étonnante de dispositifs – visuels, olfactifs et tactiles – pour attirer l’attention d’insectes et d’oiseaux spécifiques et même de certains mammifères ! Elles ont mis au point des élixirs pour attirer les pollinisateurs. Les fleurs de Datura, une plante très toxique, produisent, par exemple, une potion hallucinogène, dont sont friands les papillons faucon.

Certaines espèces d’orchidées appâtent leurs pollinisateurs avec des parfums dont ces derniers se servent comme attractifs sexuels. D’autres vont jusqu’à se faire passer pour d’autres créatures. Une orchidée, l’ophrys bourdon, prend même l’apparence d’un insecte ! Des plantes carnivores imitent l’aspect ou l’odeur de la viande pourrie, ce qui attire les mouches qui les pollinisent.

Pourquoi les fleurs n’en feraient-elles pas de même pour attirer les humains ? En fait, il se pourrait bien que les fleurs se soient peu à peu transformées en des « super stimuli » pour notre cerveau, combinant au cours de l’évolution toutes les propriétés citées plus haut : parfum, beauté et promesse d’un festin. Dans un seul objectif : nous plaire afin que nous continuions à les chérir, les soigner et les cultiver. Pour de nombreuses fleurs, le grand amour de leur vie est désormais l’humanité dont la faveur assure désormais leur succès mieux que n’importe quel insecte. Une histoire d’amour en perpétuelle floraison.

Emilie Pinson

Sources et références :
-L’étude de Jeannette Haviland-Jones : An Environmental Approach to Positive Emotion: Flowers
https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/147470490500300109
-K. Yamane, M. Kawashima, N. Fujishige, M. Yoshida, 2004, « Effects of Interior Horticultural Activities with Potted Plants on Human Physiological and Emotional Status », dans Acta Horticulturae 639, XXVI International Horticultural Congress : Expanding Roles for Horticulture in Improving Human Well-Being and Life Quality, ISHS 
– Humans’ Relationship to Flowers as an Example of the Multiple Components of Embodied Aesthetics https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5867485/
-The Botany of Desire, Michael Pollan, Random House, New-York

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