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Coronavirus : les étrangers, éternels boucs émissaires des épidémies…

À chaque grande catastrophe sanitaire, l’étranger est désigné comme responsable de la maladie et de sa propagation. Un rôle taillé sur mesure pour apaiser les angoisses de la population…

Yersinia pestis. C’est le nom de la bactérie responsable de la peste noire, une pandémie médiévale qui a emporté au moins un tiers de la population européenne entre 1347 et 1352. Soit environ 25 millions de personnes au bas mot. Très vite, les Juifs sont désignés comme les « semeurs de peste ». Massacres collectifs, lynchages, tortures, pillages… : ils subissent la violence sauvage d’une foule complètement déchaînée, convaincue que les Juifs sont à l’origine du terrible bacille. Pour expliquer l’hécatombe qui décime alors le continent, on les accuse notamment d’empoisonner l’eau des puits, de perpétrer des crimes rituels, de pervertir la foi chrétienne ou encore d’avoir conclu un pacte avec le diable…

Déferlante raciste contre les Asiatiques

À chaque grande crise sanitaire (peste, choléra, grippe espagnole, Sida, Sras, coronavirus…), le même phénomène se reproduit systématiquement selon la logique implacable du bouc-émissaire : par un mécanisme diffus et consensuel dans l’opinion, l’étranger est livré en pâture à la population. Comme une offrande sacrificielle. Même si, les situations ne sont évidemment pas comparables, depuis la fin du mois de janvier 2020, le racisme qui frappe les personnes d’origine asiatique obéit à cette même logique. Insultes, violences physiques, stigmatisation, intimidation, dégradations : en France, en Italie, en Belgique et un peu partout dans le monde : les « chinois » subissent l’ostracisme. C’est le grand retour, sous l’angle de l’ennemi intérieur, du fameux « péril jaune ». Soupçonnés d’être porteurs du virus, les « Asiatiques » sont considérés comme responsables de sa propagation. « Nous faisons face à une multiplication des propos stigmatisants, mais aussi une recrudescence d’insultes et d’agressions », a confirmé Dominique Sopo, président de SOS Racisme, à notre confrère Le Parisien. Sous l’hashtag #JeNeSuisPasUnVirus, des milliers de témoignages d’Asiatiques victimes de racisme inondent les réseaux sociaux.

Chaque jour, de nouveaux témoignages rapportent des scènes inimaginables dans les transports, les restaurants, les lieux publics, les urgences, les centres de soins ou simplement dans la rue… Le climat est tel qu’une simple toux peut déclencher des réactions hystériques et mettre en danger son auteur !

Pour exorciser les angoisses de la population

Déshumanisé, réduit à l’état de virus potentiel, l’étranger (l’Asiatique en l’occurrence) incarne dans l’inconscient collectif l’impureté, le corps étranger qui vient polluer l’homogénéité de la société touchée par l’épidémie. Son élimination physique ou symbolique pourrait donc, selon les partisans de cette croyance, faire disparaître la maladie. Mais, en réalité, l’utilité du bouc-émissaire réside dans sa capacité à absorber les angoisses dévorantes de la société qui lui fait porter une responsabilité imaginaire. En l’offrant à la vindicte populaire ou en l’exécutant, la société inquiète croit ainsi pouvoir retrouver l’apaisement, échapper au malheur. C’est ce qu’expliquait le théoricien de la violence des sociétés, René Girard, dans son livre Le bouc-émissaire (1982) : « De vastes couches sociales se trouvent aux prises avec des fléaux aussi terrifiants que la peste ou parfois avec des difficultés visibles. Grâce aux mécanismes persécuteurs, l’angoisse et les frustrations collectives trouvent un assouvissement vicaire sur des victimes qui font aisément l’union contre elles, en vertu de leur appartenance à des minorités mal intégrées, etc.. ».

Interprétation délirante de la réalité

Parfois, c’est un pays voisin qui est pointé du doigt comme lors de la crise de l’encéphalite spongiforme bovine (dite de la « vache folle ») dont la responsabilité était régulièrement imputée à l’Angleterre. Ou lorsqu’une partie non négligeable de la population mondiale reproche encore aux États-Unis d’avoir fabriqué le virus du Sida dans un laboratoire… Théorie du complot et logique du bouc-émissaire se mêlent alors dans une interprétation délirante de la réalité et alimente les pires scenarios. Largement diffusés sur Internet, ils connaissent un énorme succès. Dans d’autres cas, la mise en accusation est plus subtile. Politique même. Ainsi, la manière dont Taïwan avait géré la menace du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) sur son territoire en dit long sur cette peur de l’invasion étrangère. « Le SRAS fut construit par les autorités taiwanaises comme un problème de sécurité nationale parce qu’il mettait en question les infrastructures vitales de la société, mais aussi parce qu’il arrivait du continent chinois : il fallait se préparer à une nouvelle épidémie comme on se prépare à une attaque militaire. Le SRAS fut décrit par les autorités chinoises comme une pneumonie atypique (feidian), mais sa désignation par l’OMS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) a pu être associée, dans les articles de République Populaire de Chine, à l’acronyme de la Région Administrative Spéciale de Hong Kong (SAR, Special Administrative Region) et ainsi laisser penser à une épidémie d’origine étrangère », analysent ainsi Florence Bretelle-Establet et Frédéric Keck dans un l’ouvrage collectif intitulé « Penser les épidémies depuis la Chine, le Japon et la Corée ». Toujours l’autre, l’étranger. Lointain ou proche, différent ou ressemblant, il est tout désigné pour libérer une société rongée par la peur de la mort.

Nasser Negrouche

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