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Eco-anxiété, solastalgie, éco-paralysie : les ravages du syndrome de Babylone…

Réchauffement de la planète, pollution, raréfaction de l’eau potable, déplacements massifs de populations, famines, guerres de survie, inondations, chaleurs extrêmes… L’inventaire effrayant des risques écologiques plonge l’humanité dans de nouvelles angoisses. La faute au cerveau ?

« La mer a envahi Babylone, elle a été submergée par la masse de ses flots. Ses villes sont dévastées, la terre est devenue aride et déserte. C’est un pays que plus personne n’habite et où ne passe plus aucun homme ». Tirée de la bible, cette sombre vision du prophète Jérémie décrit la chute de l’orgueilleuse cité qui s’élevait sur les rives de l’Euphrate, au sud-ouest de Bagdad en Irak. La fin d’un empire puissant qui régnait sur toute la Mésopotamie et qui se croyait invincible, balayé en une heure par les éléments déchaînés.

Cette catastrophe écologique, qui ressurgit dans l’Apocalypse, signe aussi la destruction d’une société qui vivait dans l’opulence, la surconsommation, la corruption et les excès en tous genres. Un peu comme nos sociétés développées aujourd’hui… Ainsi, Babylone est devenue le symbole d’un modèle économique et politique irresponsable dont la chute, comme l’ont prédit les prophètes, seraient irréversible. Maltraitée, surexploitée, souillée, la planète devient alors inhospitalière pour les humains. Cette même espèce dont l’inclination à consommer toujours plus en a brisé l’équilibre et l’harmonie.

Entre colère, angoisse et détresse

Le syndrome de Babylone correspond donc à la peur de la chute, de la fin, du manque. Lorsque la nature, épuisée par notre avidité, décidera de nous faire payer notre absence de gratitude. Cette peur archaïque de l’effondrement ressurgit aujourd’hui à travers de nouvelles angoisses : éco-anxiété, solastalgie, éco-paralysie, dépression verte. De quoi s’agit-il ? D’un ensemble de symptômes, psychologiques et physiques, liés au désastre écologique à venir que nous annoncent les chercheurs. Les jeunes sont particulièrement exposés à ce mal du siècle qui se répand. Selon un récent sondage Yougov pour Le HuffPost (1), 72% des 18-24 ans (contre 51% des Français en général) reconnaissent que le réchauffement climatique est pour eux une source d’angoisse. L’éco-anxiété se manifeste également par de la colère pour 39% des personnes interrogées de la peur (34%), de la déprime (14%), des troubles du sommeil (8%), un mal de dos (7%), de la dépression (4%) ou encore des crises d’angoisse (3%).

Parfois, c’est la détresse qui prédomine. On ressent alors un vertigineux sentiment d’impuissance face à la dégradation de l’environnement. On parle alors de « solatalgie ». Un concept forgé par le philosophe australien Glenn Albrecht. « Je définis la « solastalgie » comme la douleur ou la détresse causée par une absence continue de consolation et par le sentiment de désolation provoqué par l’état actuel de son environnement proche et de son territoire. Il s’agit de l’expérience existentielle et vécue d’un changement environnemental négatif, ressenti comme une agression contre notre sentiment d’appartenance à un lieu », explique-t-il dans son dernier livre : « Les Émotions de la Terre. Des nouveaux mots pour un nouveau monde » (Les Liens qui libèrent, 2020).

Les désirs fous du striatum

Si la prise de conscience déclenchée par l’éco-anxiété peut nous pousser à agir à l’échelle individuelle et collective, elle peut aussi être démobilisatrice et conduire à une forme de résignation. On parle alors d’éco-paralysie. Ceux qui en souffrent sont persuadés qu’ils ne peuvent rien faire de concret pour inverser le cours des choses. Quel que soit le type d’angoisse babylonienne qui vous mine, inutile de vous culpabiliser outre-mesure ! Il semblerait que la course au toujours plus technologique et financier, génératrice de pollutions mortelles pour la planète, soit une spécialité de notre cerveau…

Programmé pour survivre, ce dernier ne cesse d’innover et d’accumuler pour garantir sa sécurité, satisfaire sa quête du plaisir et le développement de notre espèce. Face aux caprices insatiables du striatum, cette zone cérébrale qui commande les fonctions vitales liées à la survie et aux besoins primaires (manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, étendre son territoire, s’imposer face à autrui), le cortex (siège de la conscience et de l’intelligence) ne fait pas le poids. Il se contente d’enregistrer mécaniquement les risques écologiques, d’analyser intellectuellement les données des scientifiques. Sans jamais agir réellement contre cette menace. C’est comme s’il ne pouvait imposer sa rationalité, sa capacité de conception et de réflexion aux désirs irréfragables du striatum.

Comme les pilotes d’un avion qui va se crasher…

Conséquence : nous nous comportons comme des schizophrènes, conscients d’aller dans la mauvaise direction mais poursuivant malgré tout notre marche vers l’abîme pour satisfaire la quête de plaisirs immédiats recherchés par le striatum. Drogué à la dopamine, ce dernier n’en fait qu’à sa tête. Il veut sa dose de récompense, coûte que coûte.

C’est la thèse développée par notre confrère Sébastien Bohler, docteur en neuroscience et rédacteur en chef du magazine Cerveau et psycho, dans son livre « Le bug humain » (2019, Robert Laffont). Pour lui, le premier coupable à incriminer n’est pas l’avidité des hommes ou leur supposée méchanceté mais bien, de manière plus banalement physiologique, la constitution même de notre cerveau. « Cette lutte entre le cortex et le striatum explique que nous n’arrivions pas à nous projeter à long terme pour limiter le réchauffement climatique et que nous préférons consommer là tout de suite maintenant », explique le neuroscientifique. Et d’illustrer son propos par une comparaison inquiétante : Nous sommes comme les pilotes d’un avion dont les témoins lumineux hurlent à tue-tête pour signaler un crash imminent, et qui se lanceraient : “Il nous reste deux minutes, on a encore le temps de se préparer un bon café” ». Un dernier expresso avant l’apocalypse ? Peut-être pas. Car, avec quelques efforts, nous pourrions enfin avoir raison de ce satané striatum, enrayer son fou processus d’autodestruction. Comment ? En nous immunisant, « par le pouvoir de notre cortex contre l’appel du « tout, tout de suite » pour récupérer le pouvoir de la réflexion au long cours sur notre avenir », recommande Sébastien Bohler. Pour cela, chacun devra développer ses ressources mentales. « À la clé, une limitation de la consommation de biens matériels, sans qu’il en résulte automatiquement un sentiment de déchéance ou de frustration. Peut-être même le contraire… ». Une autre définition de la sobriété heureuse…

Victor Bernard

Sources et références :
-Étude Omnibus réalisée en exclusivité pour Le HuffPost du 16 au 17 octobre 2019 auprès de 1 027 personnes représentatives de la population nationale française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.
-« Les Émotions de la Terre. Des nouveaux mots pour un nouveau monde » (Les Liens qui libèrent, 2020.
-« Le Bug Humain », Sébastien Bohler, 2019 (Robert Laffont).

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