C’est une sorte de jeu de rôle qui a lieu régulièrement à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) de Bordeaux : après avoir visionné un extrait de film où un délinquant braque une épicerie, les étudiants doivent se mettre dans la peau d’un témoin de la scène et tenter de restituer ce qu’ils ont vu… Résultat : la plupart se trompent, de bonne foi. Ils croient voir un blouson noir à la place d’une chemise à carreaux et les traits d’un visage bronzé alors que le voleur est blond aux yeux bleus… Ou comment comprendre, par l’exemple, que les témoignages ne sont pas forcément fiables car notre mémoire est très malléable… Chaque année, un chercheur vient donc présenter à ces futurs magistrats les dernières découvertes des neurosciences sur le sujet. Les étudiants apprennent donc que notre cerveau n’enregistre et ne stocke pas tel quel tout ce qu’il voit. Notre mémoire est plutôt comme une glaise qui peut être modelée. Chaque expérience de vie laisse une trace mnésique dans votre cerveau (une connexion neuronale particulière). Lorsque vous vous remémorez un événement, c’est-à-dire lorsque vous réactivez cette trace mnésique, celle-ci devient instable, malléable pendant un moment. Or, pendant ce laps de temps, le souvenir peut être transformé, magnifié, mis à jour, ou de côté et oublié. Et le voleur n’est donc pas forcément celui que l’on croit…
Où s’enracine le crime ?
Les neurosciences remettent même en cause aujourd’hui nos certitudes sur les notions de responsabilité et de libre arbitre. En France, depuis 2011, l’imagerie cérébrale peut être utilisée dans le cadre de l’expertise judiciaire. Appelés au tribunal comme experts, les neurologues y contredisent parfois les expertises psychologiques ou psychiatriques. Comme dans ce cas récent en France où l’un d’entre eux a détecté une anomalie dans le cerveau d’un homme qui avait tué toute sa famille. Le meurtrier a finalement été interné dans un service spécialisé.
Outre-Atlantique, se développe même une nouvelle discipline, la « neurocriminologie » portée notamment par Adrian Raine, un neurologue dont le livre publié en 2013, The Anatomy of violence, the biological roots of the crime (« L’anatomie de la violence, les racines biologiques du crime »), a fait grand bruit. Il y décrit notamment les points communs des cerveaux des criminels, quand on les examine par IRM : un faible fonctionnement du cortex frontal et une structuration anormale de l’amygdale, la zone du cerveau qui gère la peur et la menace. Le chercheur évoque même un gène particulier qu’on retrouverait chez la plupart d’entre eux. De nombreuses études décrivent aujourd’hui aussi les particularités cérébrales des psychopathes… Problème : doit-on être considéré comme responsable de ses actes si on est né avec un cerveau ainsi prédisposé au crime ? Ou si une tumeur vous comprime une zone du cerveau et provoque ainsi chez vous des comportements déviants ?
Un retour du « criminel né » ?
« Pour l’instant, l’imagerie cérébrale fonctionnelle ne peut qu’établir une corrélation et non un lien causal entre un état cérébral particulier et un comportement criminel, estime Georgia-Martha Gkotsi, chercheuse à la faculté de droit d’Athènes et spécialiste en « neurodroit ». Or, les magistrats risquent de l’interpréter de façon excessive. Surtout, cette intrusion des neurosciences dans les tribunaux peut être à double tranchant : permettre l’acquittement ou bien, au contraire, figer l’accusé dans la dangerosité. » Un retour de l’idée du « criminel né » très en vogue au XIXe siècle. « Elle est surtout symptomatique de la tendance actuelle à considérer l’argument neuroscientifique comme la preuve ultime qui supplante les autres explications », prévient l’anthropologue Baptiste Moutaud qui met en garde contre les excès du « tout-cérébral ».
Reculer l’âge de la responsabilité pénale
Mais il y a une question sur laquelle tous les experts sont d’accord : il faut reculer l’âge de la responsabilité pénale des plus jeunes – en France, la majorité pénale est à 18 ans mais un mineur peut aller en prison à partir de 13 ans. Pourquoi ? Parce que nous savons désormais que tout au long de cette période, le cerveau est en pleine croissance. Dès la gestation, celui-ci se construit du bas vers le haut, des zones les plus profondes qui vont gérer les fonctions de base, comme la respiration, aux zones les plus complexes, comme le cortex. Chacune de ces régions se développe, s’organise et devient fonctionnelle à des stades différents tout au long de l’enfance. Par exemple, à la naissance, les zones qui gèrent le système respiratoire et cardiovasculaire doivent être tout à fait au point pour que le nouveau-né puisse survivre. Mais le cortex, la zone du cerveau qui s’occupe du contrôle des pulsions et la rationalité, n’est pleinement mature qu’autour de 20 ou même 25 ans. Difficile dans ce cas de juger un enfant de la même manière qu’un adulte de 30 ans ou 40 ans…
Eric Jamin
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