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Et si vous preniez un bain de silence ?

Le bain, dit aussi La femme au bain ou La baignoire, de Alfred Stevens (1823-1906)

C’est le remède idéal pour détoxifier votre cerveau et apaiser votre organisme. Mais comment fuir le tumulte et trouver le calme dans un monde aussi bruyant ?

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme et volupté », s’émerveillait Baudelaire dans son célèbre poème L’Invitation au voyage (Les Fleurs du Mal, 1857). Cette promesse d’harmonie, chantée un siècle plus tard par Léo Ferré, décrit bien la douce extase ressentie par tous ceux qui ont réussi à atteindre leur propre silence intérieur. Aux confins de soi et de l’infini.

Depuis toujours, toutes les spiritualités – en Orient comme en Occident – confèrent au silence les plus nobles vertus. Il est aussi loué par toutes les religions. Déjà, au Vème siècle av. J.-C., le poète lyrique grec Pindare, clamait : « Le silence est le plus haut degré de la sagesse ». Aujourd’hui, ce qui n’était jadis qu’une évocation poétique ou une pratique mystique s’impose comme une réalité scientifique. Pour le cerveau, le silence est sans aucun doute une extraordinaire source de bien-être !

Régénérescence cellulaire

Lorsqu’il est pleinement sollicité, notre cerveau consomme une grande quantité de glucose. Ce qui provoque une accumulation de toxines protéiniques dont les plus connue sont les bêta-amyloïdes. On retrouve celles-ci dans les neurones de certaines pathologies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Explication : le peptide βamyloïde (Aβ) affaiblirait la communication entre neurones. Pendant très longtemps, la science s’est interrogée sur la manière dont le cerveau parvenait à se débarrasser de ces toxines néfastes. Mystère éclairci en 2012 par une chercheuse danoise, Maiken Nedergaard, de l’Université de Rochester (New-York) aux Etats-Unis.

« Cette neuroscientifique a révélé l’existence d’un système glymphatique constitué, non pas de neurones, mais de cellules gliales dans lesquelles circule le liquide céphalo-rachidien. C’est celui-ci qui évacue pour partie ces toxines », explique Michel Le Van Quyen, chercheur en neurosciences à l’Inserm et auteur du livre de référence « Cerveau et Silence, les clés de la créativité et de la sérénité » (Flammarion).  Ce système d’évacuation des résidus cellulaires passe par des canaux de drainage indépendants et parallèles à la circulation sanguine. C’est grâce à ce réseau sophistiqué que le cerveau peut s’auto-nettoyer. Pour récupérer après une phase d’activité intense, il s’administre une douche neuronale qui le débarrasse de tous les déchets accumulés lorsqu’ il tournait à plein régime.

Selon les travaux de Maiken Nedergaard, l’évacuation des toxines de protéines accumulées dans le cerveau est plus importante dans des périodes de repos et de calme (jusqu’à 25 % fois plus lors d’une phase de sommeil profond, par exemple). Un environnement silencieux et calme, favorable à un sommeil réparateur, constitue un facteur déterminant de la qualité du repos. Et agit donc directement sur le processus d’élimination des toxines de protéines.

Pour alléger la surcharge cognitive

Dans les ruches bruyantes que sont les open space, les salariés sont constamment dérangés, interrompus, distraits… Ils passent d’une tâche à l’autre, parlent à haute voix pour se faire entendre dans le brouhaha, répondent aux appels, aux sms, aux mails… Cette agitation permanente épuise le cerveau.  « Cumulées au fil des jours, l’ensemble de ces interruptions et des demandes auxquelles elles sont associées entament le bien-être au travail du salarié qui expérimente alors ce que les spécialistes nomme la « surcharge cognitive ». Pour la personne, tout se passe comme si son cerveau s’essoufflait, se fatiguait et finissait exsangue », écrit Michel Le Van Quyen.

C’est ce qui se passe lorsque vous avez l’impression de crouler sous les tâches, d’avoir trop de choses à faire à la fois, de vous noyer dans vos dossiers… Alors que faire pour échapper à ce vacarme ? Faire des pauses, se déconnecter régulièrement de tous vos appareils numériques et se réfugier dans le « silence attentionnel ». Quelques minutes de silence suffisent pour échapper à la surcharge cognitive. Sans culpabilité surtout ! « Même intermittente, la quête de silence est une véritable nécessité tant sur le plan physiologique que psychologique. Se ménager du temps pour soi, s’extraire de l’environnement bruyant pour se détendre, s’autoriser à la rêverie, n’est en rien un moment gâché. C’est tout au contraire un temps d’arrêt absolument nécessaire au ressourcement, à la créativité, à l’exploration de son intériorité », rassure l’auteur de Cerveau et Silence.

Concrètement, il s’agit de mettre son cerveau au repos en ne faisant plus d’effort cognitif, en se laissant aller à la rêverie silencieuse.  Votre encéphale enclenchera alors le « mode par défaut » qui favorise le vagabondage mental. Pas besoin de gros effort vous atteindre cet état d’attention flottante. Il suffit de respirer profondément et de ne penser à rien de particulier. Avantages de l’exercice : il stimule la créativité, favorise (paradoxalement) la concentration, consolide la mémoire et participe à la construction de soi.  « Il est possible d’activer ce système parasympathique et de déclencher ainsi le cocktail d’hormones nécessaire à la régénération de nos fonctions vitales. Pour ceci il suffit de se plonger dans le silence complet pendant au moins deux minutes. Une respiration calme et profonde activera également le système parasympathique », préconise Michel Le Van Quyen.

Nasser Negrouche

Sources et références :
-Cerveau et Silence, les clés de la créativité et de la sérénité (Flammarion), Michel Le Van Quyen, 2019.
-A Paravascular Pathway Facilitates CSF Flow Through the Brain Parenchyma and the Clearance of Interstitial Solutes, Including Amyloid β, 2012, Maiken Nedergaard.
-Histoire du silence (Albin Michel), Alain Corbin, 2016.
-Raichle ME. Neuroscience. The brain’s dark energy. Science. 2006; 314(5803):1249‐1250.
-Du silence (Métailié), David Le Breton, 2015.
-Anthropologie du silence, David Le Breton, Silence ! Volume 7, numéro 2, automne 1999 URI : https://id.erudit.org/iderudit/005014ar

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