6boolo

Complotisme : une drogue dure pour le cerveau !

Adhérer à une théorie du complot active le système de récompense de notre cerveau et nous procure du plaisir. Une réaction qui favorise l’addiction au conspirationnisme.

Irrésistibles comme ces délicieux petits oursons à la guimauve auxquels il est si difficile de renoncer. Et dont on a toujours envie… C’est ainsi qu’apparaissent les théories du complot à notre cerveau. Justes à son goût. Parfaites à son palais. Et c’est bien là le problème ! Ces explications globalisantes prospèrent ainsi sur deux dispositions mentales très humaines. D’abord, ce que les scientifiques nomment la « théorie de l’esprit », c’est-à-dire notre capacité à imaginer les pensées des autres et donc leurs intentions. Cette propension est si puissante que nous sommes capables d’attribuer des intentions à de simples formes géométriques qui se déplacent pourtant de façon aléatoire sur un écran (expérience d’Heider et Simmel, 1944). Essayez donc par vous-même :

En soi, rien de méchant, bien au contraire : c’est cette capacité qui nous permet de comprendre le monde qui nous entoure. Mais les complotistes souffrent d’une obsession de l’intention : ils pensent déceler une volonté unique – la Bigpharma, les francs-maçons, les Illuminati, etc… – à l’origine d’un désordre global. À cela s’ajoute notre difficulté à penser le hasardNous avons ainsi tendance à trouver extraordinaires des phénomènes improbables mais qui sont, cependant, la production du hasard si l’on tient compte du nombre d’occurrences de l’événement en question… Ce que les scientifiques nomment le biais de la « négligence de la taille de l’échantillon ». En clair, si j’ai 1 chance sur 1000 de gagner au loto, il n’est pas si étonnant que cela m’arrive si je joue 1000 fois de suite. Et pourtant, je vivrai cela comme un événement incroyable… C’est ce biais qui explique que certains s’étonnent constamment de « coïncidences étranges ».

Une addiction comme une autre

Surtout, ces théories pourraient même nous rendre accros ! Car celles-ci nous procurent du plaisir. Même lorsqu’elles sont tirées par les cheveux, ces explications séduisantes provoquent souvent en nous la satisfaction de la découverte. Ce que le sociologue Gérald Bronner nomme « l’effet de dévoilement ». Soudain, c’est l’illumination ! Un peu comme lorsque vous venez de découvrir la solution d’une énigme ou d’un problème particulièrement épineux. Un mélange d’enthousiasme et de joie monte alors en vous. C’est ce qu’on appelle le moment Aha ! ou l’instant Eureka ! dont les mystères commencent à être percés par les neuroscientifiques. Une équipe du département de psychologie de l’Université Drexel de Philadelphie a décrit récemment ce qui se passe dans notre cerveau dans ces moments si particuliers. Ces épiphanies créent une sorte d’explosion d’activité dans le système de récompense du cerveau – celui-là même qui se déclenche lorsque nous dégustons des mets délicieux, que nous sommes en compagnie de notre amoureux.se ou … que nous consommons des stupéfiants (ce qui est moins fréquent en principe…). Les personnes qui ressentent ce plaisir, auront tendance à en vouloir plus, à chercher d’autres explications conspirationnistes. Ou même à adhérer à la théorie la plus globalisante possible qui soit. Celle qui expliquerait l’alpha et l’omega de la vie. La drogue la plus pure, en quelque sorte. Jusqu’à, parfois, perdre le contrôle. Certains programmes de désintoxication incluent d’ailleurs désormais la lutte contre l’addiction aux théories du complot. C’est le cas par exemple du Addiction center aux Etats-Unis qui classe l’abus de conspirationnisme comme une addiction comportementale.

Le poison du doute

« Un des moteurs de cette dynamique est le fameux « doute » fort mis en avant dans les sphères conspirationnistes : au nom de ce « doute », on en vient à tout remettre en question et finalement à basculer dans des logiciels idéologiques foncièrement simplistes, rejetant en bloc tout ce qui est perçu comme émanant du « système » en place, explique ainsi l’historienne Marie Peltier dans une interview à 6boolo. Le doute comme seul horizon, cela conduit finalement à un rapport au monde foncièrement confus.» Un cercle vicieux se met alors en place : plus le monde nous paraît chaotique, plus nous sommes en quête de sens. Et plus ces théories nous paraissent séduisantes. « Il suffit souvent au mythe du complot de débusquer des anomalies et des éléments énigmatiques pour générer un vide inconfortable qu’il se propose bien vite de combler par un récit. » écrit Gérald Bronner dans La démocratie des crédules. Un peu comme un pompier pyromane jette une allumette pour pouvoir prétendre éteindre l’incendie… Sauf que le feu est souvent le plus fort. Et la solution proposée vous fait plonger un peu plus dans le doute. « Les personnes qui croient fermement aux théories du complot et deviennent dépendantes peuvent éprouver certaines des situations suivantes, écrivent ainsi les experts du Addiction center : se sentir anxieux ou craintif sans raison particulière. Ressentir une perte de contrôle. Un sentiment de non-appartenance ou d’isolement. Une grande aliénation, désengagement ou désaffection de la société ». Convaincu que tout est mensonge et manipulation, le complotiste est comme ligoté par son propre récit. Paralysé. Empoisonné par une substance narrative nocive qui lui interdit toute confrontation authentique au réel.

Judith Mercadet

Les pièges du biais de confirmation
Il est particulièrement difficile de faire changer d’avis une personne conspirationniste. Cela tient en partie au fonctionnement de notre cerveau. Les scientifiques ont longtemps pensé que le cerveau ne faisait que réagir aux stimuli extérieurs. Or on sait aujourd’hui que son fonctionnement est prédictif. Enfermé dans une boîte noire, telle une momie égyptienne, il n’a pas accès directement au monde extérieur. Seule une petite partie des informations venant de nos sens est véritablement traitée par le cortex. Le cerveau s’appuie sur ces infos parcellaires, les compare à ce que nous avons déjà vécu et émet des prédictions sur la réalité. Une fois qu’une information est validée par le cerveau, elle a tendance à y rester. C’est ce qui explique le fameux biais de confirmation, un processus cognitif qui nous pousse à valoriser des informations qui confirment nos propres croyances. Or ce biais est aujourd’hui encouragé par les réseaux sociaux dont la dynamique favorise la concentration des savoirs et des croyances.

Sources et références :
-Yongtaek Oh, Christine Chesebrough, Brian Erickson, Fengqing Zhang, John Kounios. « An Insight-Related Neural Reward Signal. » NeuroImage (First published online: March 16, 2020) DOI: 10.1016/j.neuroimage.2020.116757
-https://www.addictioncenter.com/drugs/conspiracy-theory-addiction/

Ajouter un commentaire