- Croyance. Surtout ne tentez pas de démonter le discours de votre interlocuteur en utilisant des arguments rationnels ou en faisant appel à sa pensée critique. L’adhésion au récit complotiste relève de la croyance. Et elle est, à ce titre, radicalement imperméable aux raisonnements logiques, aux preuves scientifiques, aux démonstrations d’experts ou même aux paroles de témoins et acteurs des faits dont il est question. Il est important d’admettre cette spécificité avant d’aller plus loin. Ne vous épuisez pas dans de longues et inutiles conversations qui ne feront que renforcer les certitudes de la personne que vous cherchez à convaincre de son erreur. Vous devez comprendre que celle-ci, à travers cette croyance, trouve un semblant de rationalité à son propre chaos intérieur. En mettant de l’intentionnalité dans la folle marche du monde, elle se réfugie dans une sorte de bulle psychique paradoxalement rassurante et protectrice.
- Ligne de crête. Ne réagissez pas de manière frontale. Soyez à l’écoute tout en gardant vos distances. La position, il est vrai, n’est pas facile. Mais c’est en vous installant sur cette ligne de crête que vous pourrez être audible et crédible. Cela signifie, par exemple, de ne pas surenchérir tant en ce qui concerne les arguments utilisés que l’émotion exprimée. Sans jamais être complaisant.e, toutefois, avec les propos tenus. Une réaction frontale, voire violente ferait de vous un.e complice du système décrié par votre interlocuteur ou une pauvre victime naïve. Donc un.e ennemi.e idéologique avec lequel/laquelle il ne vaut mieux pas discuter.
- Demande éthique. Favorisez au contraire l’expression de votre interlocuteur.trice mais en décentrant son propos afin d’élargir le champ de la réflexion et d’essayer, ce faisant, de comprendre les vrais ressorts de son adhésion au récit complotiste. Car il existe souvent, derrière la conversion au conspirationnisme, une quête de sens, une demande éthique.Qui s’exprime, par exemple, à travers un fort désir de transparence, l’envie de lutter contre les injustices, un sentiment de solidarité envers les plus démunis. Il est intéressant, par un questionnement pertinent et une écoute exigeante, d’amener l’adepte de la théorie du complot à révéler peu à peu sa révolte intérieure, sa souffrance cachée. Cette démarche, qui s’inspire de la maïeutique socratique, a le mérite de faire prendre conscience, par sa propre réflexion, des limites de la pensée conspirationniste.
- Confrontation. Le discours complotiste est souvent désincarné, déconnecté des faits, du monde sensible, de l’histoire, de la souffrance humaine… Leurs partisan.e.s brassent beaucoup de concepts abstraits et s’accoutument à l’horreur à force de voir le monde à travers le prisme obscur de la conspiration. Pour eux/elles, tout n’est que cynisme, cruauté, magouilles, pactes diaboliques, projets secrets, mensonges et manipulations… Ce qui peut conduire certain.e.s d’entre eux/elles à tenir, sans honte ni culpabilité, des propos racistes, antisémites, révisionnistes, homophobes etc… Dans ce cas, soyez ferme et intransigeant : confrontez votre interlocuteur à la vérité historique, rappelez les massacres commis, détaillez les atrocités auxquelles ces paroles peuvent conduire… L’objectif n’est pas de convaincre mais plutôt de montrer qu’une limite « morale » a été franchie. Et que vous n’êtes pas disposé.e à l’accepter. Veillez cependant à ne pas rompre le lien et à préserver toujours un espace de discussion.
- Action. En installant ses adeptes dans une position de victimes incapables de lutter contre les puissances secrètes qui régissent le monde, le récit complotiste les maintient dans la résignation et l’inaction. Les réduits à l’état de spectateurs plaintifs et impuissants. En cela, il est en réalité l’allié de tous les conservatismes, même les plus rétrogrades. Puisque tout est déjà organisé, prévu, orchestré par des forces occultes supérieures, il n’y a donc plus rien à faire. Ce n’ est d’ailleurs pas un hasard si la pensée conspirationniste a toujours tenté d’enrayer les mouvements révolutionnaires qui, eux, voulaient vraiment renverser un ordre établi. Il peut être utile, dans ce même esprit, d’interpeller votre interlocuteur.trice sur ce qu’il/elle compte réellement faire pour changer les choses, défendre ses convictions. Lui rappeler aussi des exemples historiques de grandes luttes collectives qui ont abouti (au moins dans une partie du monde) : congés payés, sécurité sociale, droits des femmes, libertés individuelles, droit de vote, apartheid, colonisation… L’idée est de passer, dans votre échange, du champ du constat au terrain de l’action, des solutions envisageables. En faisant passer un message simple : quand l’on tient à une cause, il est toujours possible d’agir de manière constructive, en s’engageant dans une association ou un syndicat, par exemple.
Nasser Negrouche
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