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Comment la pauvreté abîme le cerveau des enfants

Il y a un lien direct entre statut socio-économique et développement cérébral. Dans les familles pauvres, le cerveau des enfants est profondément altéré par le climat d’insécurité sociale chronique. Une nouvelle inégalité aux conséquences graves, mais pas toujours fatales.

Et si la pauvreté faisait beaucoup plus de mal aux enfants qu’on ne le pense ? C’est ce qu’a découvert une équipe menée par deux neuroscientifiques américaines, Kimberly Noble et Elizabeth Sowell, en examinant les IRM (Image à résonance magnétique) des cerveaux de 1099 enfants, adolescents et jeunes adultes de différents milieux sociaux. Les résultats, publiés en 2015 dans le magazine Nature Neurosciences sont glaçants : les cerveaux des enfants provenant d’une famille dont le revenu annuel est en dessous de 25 000 dollars (soit environ 21 000 euros) ont jusqu’à 6 % de moins de surface corticale (le cortex cérébral) que ceux provenant des familles aisées (plus de 150 000 dollars de revenus annuels). Surtout, les scientifiques ont mis au jour une corrélation entre le statut socio-économique des parents et ces différences cérébrales : plus les enfants sont pauvres, plus leurs cerveaux sont altérés. Sont touchées principalement certaines zones liées au langage, à la mémoire et à la gestion des émotions et des pensées. Plus étonnant, ces différences apparaissent très tôt. Martha Farah, une neuroscientifique américaine pionnière sur le sujet, a ainsi constaté des modifications de volume de la matière grise corticale chez des bébés âgés seulement d’un mois ! Le processus s’enclencherait donc dès la grossesse.  

Retards cognitifs

En conséquence, ces enfants souffrent généralement de retards cognitifs. Attention cela ne veut pas dire que toute réussite à l’école leur est impossible, mais ils partent avec un handicap. Et ceux qui réussissent le feraient en utilisant leur cerveau de façon différente. Une étude réalisée par une équipe de chercheurs de l’université de Chicago et d’Austin a ainsi révélé que, pour résoudre un problème d’arithmétique, ces enfants utilisaient généralement le raisonnement spatial (soit la capacité notamment à visualiser les trois dimensions et à se situer dans l’espace) plutôt que numérique et verbal (soit la capacité à comprendre un énoncé et à manier les chiffres), contrairement aux élèves issus de milieu plus favorisés. Devenus adultes, ils vont aussi être plus sensibles aux stimuli négatifs que les autres…

Surexposés au stress toxique

Comment expliquer un tel constat ? Ces études en sont encore à leurs balbutiements et personne ne sait précisément ce qui provoque ces changements cérébraux. Les enfants issus de milieux défavorisés cumulent parfois les risques : exposition aux pollutions, mauvaise alimentation, etc. Des facteurs qui pourraient expliquer, en partie, ce phénomène. Les scientifiques se concentrent sur les effets du stress, qui selon eux, altèreraient le développement du cortex préfrontal, de l’hippocampe, de l’amygdale et des zones liées au circuit de la récompense qui permettent de réguler l’humeur. Les enfants issus de familles pauvres souffriraient davantage de ce que ceux-ci nomment le « stress toxique ». Lorsque nous nous sentons menacés, en insécurité, nous enclenchons un processus en cascade : notre amygdale, une zone au centre de notre cerveau qui gère la peur, s’active. L’hypothalamus, sorte de centre de commandement tire l’alarme pour le reste du corps…  Nos glandes surrénales se mettent alors à produire de l’adrénaline, de la norépinéphrine et du cortisol. Sous l’effet de ces hormones du stress, notre coeur se met à battre plus fort, nos muscles se contractent et notre pression sanguine augmente. Nous voilà en position de « fight or flight » de « se battre ou fuir ». C’est ce qui se passe chez un enfant qui a faim ou peur par exemple…

Des initiatives porteuses d’espoir

L’idée est donc de s’appuyer sur ces découvertes pour élaborer de nouvelles politiques anti-pauvreté. C’est l’objectif du Centre pour le développement de l’enfant de Harvard, (Centre on the developing child) dont l’économiste James Heckman a fait partie (voir encadré). Créé en 2006 au sein de la prestigieuse université américaine, ce pôle de recherche a pour objectif de trouver des pistes de mises en pratique de ces découvertes et de former les professionnels de la petite enfance dans le monde entier.

Le centre a déjà inspiré des initiatives de grande ampleur comme Criança feliz, (enfant heureux) : un programme d’accompagnement des parents dont l’objectif est de toucher quatre millions d’enfants et de femmes enceintes à Brazil, la capitale brésilienne. Depuis 2017, une armée de travailleurs sociaux se rendent dans les quartiers les plus pauvres de la ville pour montrer aux parents comment rassurer leurs enfants et les stimuler par des jeux. Surtout, ceux-ci leur expliquent que le développement cognitif de leur progéniture est directement lié à son bien-être émotionnel.

Un revenu universel pour préserver le cerveau des enfants

Peut-être faudrait-il aussi adapter davantage les méthodes d’enseignement aux élèves, sans pour autant être moins exigeant : « Puisque les élèves utilisent de manière différente leur cerveau lorsqu’ils font des maths, il faut en conclure qu’une méthode d’enseignement efficace pour un groupe d’élèves de statut socioéconomique élevé ne le sera pas forcément pour les autres. » écrit ainsi Martha Farah dans un article intitulé Socioeconomic status and the brain : prospects for neuroscience-informed policy publié en juin dernier dans Nature Reviews.

Les scientifiques sont aussi en train d’étudier les effets d’un simple supplément de revenu. L’équipe de Kimberly Noble vient ainsi de lancer une étude ambitieuse concernant 1000 enfants issus de milieux défavorisés un peu partout aux Etats-Unis. Une partie de ces familles va recevoir 300 dollars par mois (environ 250 euros) pendant cinq ans. Si cette aide permet de préserver le développement cérébral des enfants, ces résultats pourraient constituer un argument de poids en faveur d’idées comme le revenu universel. Garantir un minimum de sécurité financière aux familles permettrait à tous les enfants de partir avec les mêmes chances dans la vie.

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