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Covid-19 : alerte tsunami mental à l’approche !

Insomnie, anxiété, dépression, conduites addictives… L’arrivée imminente d’une « deuxième vague psychiatrique » pourrait saturer les services de soins spécialisés et aggraver la situation sanitaire.

C’est la deuxième vague dans la deuxième vague. Un choc redouté par les professionnels de la santé mentale. Qui évoquent désormais une « deuxième vague psychiatrique ». Une souffrance invisible dont les grands médias ne parlent pas beaucoup. Grande absente des bilans sanitaires officiels, rarement citée dans les communiqués du gouvernement, la détresse psychique des Français serait-elle un tabou ?

Pourtant, le sujet est sérieux et nous concerne tous. Car les épidémies (hier SRAS, Ebola ou H1N1 et aujourd’hui COVID-19) ont des effets importants sur les comportements, le moral et la santé mentale de nos concitoyens. Les premières études menées en Chine sur l’impact de l’épidémie ont d’ailleurs mis en lumière un nombre important de troubles anxieux et dépressifs ainsi que de troubles du sommeil. La France, comme les autres pays, n’échappe pas à ce psychotraumatisme collectif. Après le séisme du virus et son cortège de décès, voici maintenant qu’un tsunami mental se prépare à frapper le monde.

Des services de santé mentale bientôt submergés

« Une deuxième vague dévastatrice est imminente, imputable aux conséquences du COVID-19 sur la santé mentale », préviennent dans un article publié il y a quelques jours dans la revue médicale JAMA les Dr Naomi Simon, Dr Glenn Saxe et Dr Charles Marmar, tous de la Grossman School of Medicine de l’Université de New York. Selon les auteurs, de plus en plus d’éléments probants (troubles psychologiques, toxicomanie…) annoncent cette lame de fond qui grossit chaque jour un peu plus et qui pourrait faire de gros dégâts. « L’ampleur de cette deuxième vague est susceptible de submerger le système de santé mentale déjà affaibli, ce qui entraînera des problèmes d’accès aux soins, en particulier pour les personnes les plus vulnérables », avertissent les spécialistes.

Un risque confirmé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Selon une nouvelle enquête de l’organisation internationale, la pandémie de COVID-19 entraîne des perturbations ou une interruption des services de santé mentale essentiels dans 93 % des pays (voir notre encadré ci-dessous). Alors que, dans le même temps, la demande de soins augmente. Cette enquête, menée dans 130 pays, permet de disposer des premières données mondiales montrant l’impact désastreux de la COVID-19 sur l’accès aux services de santé mentale et souligne qu’il est urgent d’en accroître le financement. Avant la pandémie, les pays consacraient moins de 2 % de leur budget national à la santé mentale et avaient déjà du mal à répondre aux besoins de leur population.

Insomnie, anxiété et substances psychoactives

Aujourd’hui, la crise sanitaire fait augmenter la demande de services de santé mentale, ce qui rend encore plus compliquée la prise en charge des patients. Le deuil, l’isolement, la perte de revenu et la peur entraînent ou aggravent des pathologies mentales. Beaucoup de gens consomment plus d’alcool ou de drogue et souffrent davantage d’insomnie et d’anxiété. Parallèlement, la COVID-19 peut entraîner des complications neurologiques et psychiatriques (état confusionnel, agitation ou accident vasculaire cérébral, par exemple). Les personnes qui présentent des troubles mentaux, neurologiques ou liés à l’usage de substances psychoactives sont également plus vulnérables face à l’infection par le SARS-CoV-2 car, pour elles, le risque d’être atteintes d’une forme grave de la maladie et d’en mourir pourrait être plus élevé.

« Une bonne santé mentale est fondamentale pour la santé et le bien-être en général », a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé. « La COVID-19 a entraîné une interruption des services essentiels de santé mentale dans le monde au moment même où ils sont le plus nécessaires. Les dirigeants mondiaux doivent agir rapidement et résolument pour investir davantage dans des programmes de santé mentale qui sauvent des vies, pendant et après la pandémie », a-t-il ajouté.

Ennui, stress et plaisir favorisent les pratiques à risque

En France, d’autres travaux menés antérieurement évoquent un risque d’augmentation de conduites suicidaires, de symptômes d’allure psychotique, de symptômes psychosomatiques, de symptômes de stress post-traumatique et de consommations de substances psychoactives (alcool, tabac, psychotropes…).     « L’ennui, le manque d’activité, le stress et le plaisir sont les principales raisons mentionnées par les fumeurs ou usagers d’alcool ayant augmenté leur consommation. On note également que l’augmentation aussi bien pour le tabac que pour l’alcool est corrélée au risque d’anxiété et de dépression », constate Viêt Nguyen Thanh, responsable de l’unité addictions à la direction de la prévention et de la promotion de la santé à Santé publique France (SPF).

Depuis le 23 mars dernier, SPF a déployé avec BVA un dispositif d’enquête auprès de 2000 internautes de 18 ans et plus. Il permet de suivre l’évolution de l’adhésion des Français aux mesures de prévention, d’évaluer la prévalence de troubles psychiques (en particulier anxio-dépressifs) au sein de la population et d’identifier les segments de population les plus vulnérables pendant cette période. Notamment ceux déjà atteints de troubles mentaux avant la pandémie ou qui consomment des substances psychoactives.  « Le stress et les perturbations sociales causés par la pandémie ont accru la dépression et l’anxiété dans le monde et affectent négativement de nombreuses personnes souffrant de troubles psychiatriques préexistants et de troubles liés à l’usage de substances », diagnostique l’équipe médicale de la Grossman School of Medicine de l’Université de New York.

Les femmes précaires de moins de 50 ans en première ligne

Lors du premier volet de l’enquête (menée du 23 au 25 mars dernier), plus d’un quart (27%) des répondants de l’échantillon ressentaient un état d’anxiété. Si le niveau d’anxiété de la population a diminué entre les deux phases de l’étude, il reste cependant nettement supérieur (22%) à celui observé en population générale en 2017 (13,5%). Les principaux facteurs associés à une plus forte anxiété sont : être une femme, avoir un âge inférieur à 50 ans, le fait d’être dans une situation financière difficile, d’être actuellement en situation de télétravail, d’être parents d’enfant de 16 ans et moins, d’avoir un proche ayant des symptômes évocateurs du COVID-19, de percevoir le COVID-19 comme une maladie grave, d’avoir une mauvaise connaissance des modes de transmission du virus, de se sentir peu capable d’adopter les mesures préconisées et d’avoir peu confiance dans les pouvoirs publics.

Eric Jamin

Typologie des perturbations dans les services de santé mentale

Une enquête de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) révèle que les services de santé mentale essentiels ont été gravement perturbés. Menée de juin à août 2020 dans 130 pays des six régions de l’OMS, elle visait à évaluer l’effet de la COVID-19 sur l’évolution de la prestation des services de soins psychiatriques, neurologiques et liés à l’usage de substances psychoactives, les types de services qui ont été perturbés et la façon dont les pays s’adaptent pour surmonter ces difficultés.

Plus de 60 % des pays ont signalé des perturbations des services de santé mentale destinés aux personnes vulnérables, y compris les enfants et les adolescents (72 %), les personnes âgées (70 %) et les femmes qui ont besoin de services prénatals ou postnatals (61 %).

67 % des pays ont constaté des perturbations des thérapies brèves et des psychothérapies ; 65 % des services essentiels de réduction des risques ; et 45 % du traitement d’entretien par agonistes opioïdes de la dépendance aux opioïdes.

Plus d’un tiers (35 %) des pays ont signalé des perturbations des interventions d’urgence, y compris pour les personnes présentant des convulsions prolongées, un syndrome de sevrage grave lié à l’usage de substances psychoactives ou un état confusionnel, souvent signe d’une maladie grave sous-jacente.

30 % des pays ont signalé des perturbations de l’accès aux médicaments utilisés pour le traitement des troubles mentaux, neurologiques ou liés à l’usage de substances psychoactives.

Environ les trois quarts des pays ont signalé des perturbations au moins partielles des services de santé mentale dans les établissements scolaires et sur les lieux de travail (78 % et 75 %, respectivement).

Alors que de nombreux pays (70 %) ont adopté la télémédecine ou la téléthérapie pour remédier aux perturbations des services où les patients sont physiquement présents, il existe d’importantes disparités dans l’adoption de ces interventions. Plus de 80 % des pays à revenu élevé ont indiqué avoir recours à la télémédecine et la téléthérapie pour combler les lacunes en matière de santé mentale, contre moins de 50 % des pays à revenu faible.

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