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Les 1000 premiers jours du début de notre vie !

De la conception de l’enfant jusqu’à sa deuxième année, le cerveau déploie ses connexions. Une phase décisive pour le bébé et délicate pour la maman qui doit être préservée de tout stress pendant cette période.

4 semaines au lieu de deux actuellement. Les pères pourront désormais passer plus de temps auprès de leur nouveau-né. L’allongement du congé paternité est la première mesure décidée par le gouvernement inspirée du rapport sur les 1000 premiers jours de la vie remis début septembre 2020. Pendant un an, une commission d’experts, présidée par le pédopsychiatre Boris Cyrulnik, ont travaillé sur ce qu’on appelle les 1000 premiers jours, un nombre rond qui désigne plus ou moins les premiers mois de l’existence, de la conception à l’âge de deux ans. Ce document de 130 pages est presque passé inaperçu, éclipsé par les craintes d’une deuxième vague de Covid. Et pourtant, il contient des enseignements précieux. Les experts préconisent ainsi de faire du soutien aux jeunes enfants et à leurs parents une «priorité de l’action publique». Et ce ne sont pas que des mots. Les dernières découvertes scientifiques sont sans appel : beaucoup se joue lors de cette période pendant laquelle le cerveau se construit. Surtout, des politiques ciblant les femmes enceintes et la petite enfance pourraient avoir un grand impact. La France est loin d’être en avance sur le sujet. Aux Etats-Unis ou au Canada, la petite enfance est devenue un enjeu majeur de société. Dès 2006, la prestigieuse université de Harvard aux États-Unis, a ainsi créé le Centre pour le développement de l’enfant, (Centre on the developing child). Un pôle de recherche qui a pour objectif de trouver des pistes de mises en pratique de ces découvertes et de former les professionnels de la petite enfance dans le monde entier. Avec une conviction : en mettant en place des politiques de protection adaptées, nous pourrions même fonder une société meilleure.

Un big bang cérébral chorégraphié par notre code génétique…

Pour comprendre, il faut revenir au commencement de la vie lorsque, dans le ventre de la mère a lieu le big bang neuronal. Le fœtus a à peine deux semaines et ne mesure que quelques millimètres de long quand un petit amas de cellules commence à se former. C’est le tube neural, une minuscule paille au sein de laquelle les cellules prolifèrent à toute vitesse (3000 par seconde !). Un véritable big bang ! Bientôt, l’une des extrémités du tube se met à enfler comme un ballon. Et les cellules migrent vers la périphérie pour former le cortex en constituant des couches successives. C’est ce que les scientifiques nomment la migration cellulaire. Elles se transforment alors soit en neurones ou en cellules gliales (celles-ci composent une grande partie de la matière blanche du cerveau et sont chargées d’alimen­ter les neurones et de les soutenir). Peu à peu, les aires cérébrales se connectent et s’organisent. D’abord le cortex moteur, puis le cortex sensoriel et le cortex visuel à l’arrière du crâne. Mais le chantier cérébral ne s’arrête pas là. Le cerveau continue de se développer bien après la naissance. Le cortex n’atteindra même sa pleine maturité que plus tard, lorsque l’enfant sera devenu adulte, aux alentours de 20-25 ans. « Tout au long de ce processus très complexe, le timing est essentiel et doit être scrupuleusement respecté, écrit Yehezkel Ben-Ari, chercheur en neurobiologie, fondateur de l’Institut de Neurobiologie de la Méditerranée (INMed) à Marseille dans Les 1000 premiers jours (Humensciences). Les cellules doivent se diviser en nombre mais pas trop, migrer au bon endroit, se spécialiser dans la fonction prévue, interagir avec certains congénères et pas d’autres… » Un peu comme des petits rats de l’Opéra qui effectueraient une chorégraphie réglée au millimètre près.

… qui peut être perturbé par l’environnement et le stress des parents

Cette danse est menée par un maître de ballet exigeant : le code génétique. C’est grâce à lui que les cellules savent à quel étage elles doivent se rendre, à quelle fonction elles sont destinées, à quelle autre cellule elles doivent se connecter. Mais pas seulement : l’environnement va aussi agir sur la façon dont les gènes vont s’exprimer et donc sur la manière dont le cerveau du fœtus puis de l’enfant va se construire… In utero, un événement extérieur traumatique peut ainsi ralentir ou accélérer la migration des cellules, leur faire changer de trajectoire ou même les éloigner de la destination prévue ! Imaginez donc que nos petits rats n’évoluent donc pas dans l’atmosphère protectrice d’une salle d’opéra mais dans le brouhaha de la circulation parisienne : les danseurs risquent à chaque instant de se faire bousculer par les passants, ou de ne plus entendre la musique. Or, il suffit que l’un d’eux trébuche en faisant un entrechat et c’est la catastrophe ! Tout le ballet qui est déréglé. Un bug qui peut mener à la formation de circuits mal connectés et serait même la cause de certaines pathologies mentales comme la schizophrénie ou l’autisme. 

Or, on sait désormais que beaucoup de facteurs extérieurs peuvent perturber cette chorégraphie cérébrale. Certains médicaments pris par la mère pendant sa grossesse, comme la Dépakine, peuvent ainsi entraîner des retards intellectuels ou des cas d’autisme. Autre facteur de risque : la pollution. Des données épidémiologiques ont révélé que l’incidence de l’autisme est plus grande chez l’enfant dont la mère vivait pendant sa grossesse à 1,5 Km d’un champ où des pesticides sont répandus. Même une mauvaise alimentation peut avoir des effets délétères. Surtout, les scientifiques connaissent mieux aujourd’hui les effets dévastateurs du stress sur le cerveau en construction. Dès la conception, la santé mentale de la future maman aura ainsi des répercussions sur celle de son bébé. « Ces troubles représentent de ce fait environ 70 000 enfants par an, estiment les auteurs du rapport sur les 1000 premiers jours. La sévérité de ces troubles est variable en termes de handicap, mais affecte considérablement le devenir individuel.»

Une incroyable plasticité cérébrale

Un autre phénomène rend la période de construction cérébrale encore plus sensible : l’incroyable plasticité du cerveau immature. A partir de la 20ème semaine de grossesse et jusqu’à la fin des 1000 premiers jours, le cerveau se déploie, il foisonne : « Le réseau s’étend de manière presque anarchique, décrit Yehezkhel Ben-Ari. On assiste à une frénésie de construction de nos autoroutes de l’information » Le bouillonnement cérébral est si intense que chaque neurone, à chaque minute, établit 200 000 connexions synaptiques ! Le cerveau est pendant cette période comme une glaise que l’on peut sculpter indéfiniment. C’est ce qui explique pourquoi les nourrissons peuvent apprendre facilement une nouvelle langue et s’adapter à des environnements différents. Peu à peu, ce foisonnement synaptique va se calmer, pour se concentrer sur des régions du cerveau où ces connexions auront une fonction bien définie. Un processus de destruction cellulaire commence, ce que les scientifiques nomment, en anglais, le « pruning », l’élagage, la taille. Ce moment est décisif. Comme le cerveau fonctionne selon le principe du « use-dependent », ce sont les zones cérébrales sollicitées qui se développent en priorité, au détriment des autres… Pour le meilleur- l’apprentissage- et parfois le pire lorsque l’enfant est sans cesse dans un état de stress.

Réparer les cerveaux mal connectés

Mais tout n’est pas perdu. La connaissance des étapes précises de la construction du cerveau permet désormais aux scientifiques et aux pédopsychiatres d’entrevoir des soins adaptés. « La période des 1000 jours offre l’opportunité d’un changement, car la précocité des interventions, mêmes mineures, est souvent proportionnelle à leur efficacité. » écrivent les experts du rapport. De nouvelles thérapies comportementales voient le jour. Le pédopsychiatre américain Bruce Perry a, par exemple, élaboré un modèle de thérapie fondée sur une connaissance précise des étapes de développement du cerveau de l’enfant, le « Neurosequential Model of Therapeutics » (NMT). Le principe est de passer en revue son histoire afin d’identifier les zones du cerveau qui auraient été lésées par le traumatisme pendant son développement pour ensuite pouvoir lui proposer des thérapies ciblées. En se fondant sur l’extraordinaire plasticité du cerveau humain, même après les 1000 premiers jours de la vie. Exemple avec Justin, un enfant américain. Lorsque Bruce Perry le rencontre pour la première fois, Justin est prostré. Il mange à même le sol et jette ses excréments au visage des gens. « A cinq ans, il ne pouvait toujours pas marcher ni parler, écrit-il dans son livre The Boy Who Was Raised Like a Dog (Basic Book). Les médecins, qui ne connaissaient pas son histoire, estimaient que la plupart de ses fonctions cérébrales ne s’activaient pas correctement, à cause, selon eux, d’une anomalie congénitale inconnue, impossible à soigner. » Pourtant, la cause de ces retards était ailleurs. Confié à la naissance par sa mère adolescente à sa grand-mère qui décèdera peu après, Justin a vécu les premières années de sa vie chez le compagnon de celle-ci, un éleveur de chiens. Complètement désarmé face à ce bébé qui ne cessait de pleurer, celui-ci avait fini par le traiter comme l’un de ses chiens. Enfermé dans une cage toute la journée, l’enfant vivait au rythme des canidés. L’abandon de sa mère, la mort de sa grand-mère puis la vie avec les chiens ont littéralement façonné son cerveau en construction. Grâce au « Neurosequential Model of Therapeutics » (NMT), les progrès de Justin ont été fulgurants. Celui-ci a retrouvé un comportement relativement normal. Il s’est rapidement mis à marcher et à parler. Il n’a suffi que de quelques semaines pour que l’enfant élevé au milieu des chiens soit de retour parmi les humains.

Judith Mercadet

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