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Quand le Covid-19 nous fait un cœur tout neuf !

Dessin anonyme trouvé sur les réseaux sociaux. Nous n'avons malheureusement pas retrouvé son/sa talentueu·x·se auteur·e.

Chants et applaudissements en hommage aux soignants, entraide entre voisins, groupes de soutien sur les réseaux sociaux, afflux de bénévoles, dons… Depuis le début du confinement, individuelles ou collectives, les initiatives solidaires fleurissent partout en France. Comme si le virus réveillait notre altruisme…

Tous les soirs, à l’heure du JT, la bonté défile en prime-time aux fenêtres des Français. Partout dans le pays, à 20h précises, on tape des mains, on chante, on encourage, on acclame. Avec, souvent, la voix qui tremble et des larmes qui roulent lentement sur les joues. Une ovation à l’italienne, pleine d’amour et de fierté. On applaudit avec ferveur pour dire merci aux soignants, mobilisés en première ligne dans la guerre contre la propagation du coronavirus. Aux embrasures des maisons cossues du centre-ville comme aux balcons des cités populaires de la périphérie, c’est la même clameur qui monte chaque soir dans le ciel de France. Comme un autre hymne national. Une Mercillaise. Un chant pour la survie de l’espèce humaine. L’ennemi, pour une fois, n’est pas « l’autre » mais un méchant virus nommé Corona.

Cet hommage choral aux soignants est aussi un temps de partage et de communion entre tou·te·s ceux et celles qui y participent. « C’est ce rendez-vous qui me donne la force de supporter le confinement, reconnaît, émue, Nadia, 37 ans, aide-ménagère près de Nantes. Avec mes deux enfants, on est à la fenêtre tous les soirs ! Cela nous permet de dédramatiser l’épidémie et de nous sentir moins seuls… ». Ensemble, on se sent aussi plus fort·e·s face à la menace. On se serre les coudes, à distance, mais uni·e·s par le gospel de nos voix fondues en une seule. Relié·e·s par le tempo régulier de nos mains qui scandent, dans un même mouvement, notre admiration commune pour le personnel soignant.

Un méga shoot d’ocytocine !

Mais, au-delà de sa dimension festive, le récital de 20h fait aussi du bien au cerveau. Car chanter stimule la sécrétion d’endorphine, véritable anti-douleur naturel, fait baisser le niveau de stress et libère l’ocytocine, une hormone de l’attachement aux autres. C’est ce qu’ont démontré, par exemple, les travaux menés par Marie Sandgren, professeure de psychologie à l’Université de Stockholm et par le chercheur en neurosciences américano-canadien Daniel Joseph Levitin (Université McGill, Montréal). Dans son livre « The World in Six Songs : How the Musical Brain Created Human Nature », ce dernier démontre comment le chant à plusieurs renforce le sentiment appartenance au groupe et stimule les liens entre les participants par la libération d’un taux ocytocine encore plus élevé. Les applaudissements collectifs, la musique, l’accomplissement d’une activité (artistique, sportive, culturelle…) en groupe produit des effets similaires.

Mieux encore : les recherches de Daniel Levitin prouvent, grâce à la mesure du taux d’immunoglobulines (les anticorps qui protègent notre organisme des virus, des bactéries et de certaines toxines), que le système immunitaire est renforcé après une séance de chant choral ! Et ça marche aussi si on fait des percussions ensemble… En chantant à leurs balcons, les Italiens ne savaient sans doute pas qu’ils boostaient en même temps leurs défenses immunitaires… En croyant simplement se soutenir les uns les autres, ils se soutenaient aussi eux-mêmes.  

Mais alors, quel sens faut-il donner à ces manifestations collectives qui oscillent entre thérapies de groupe et joyeuses messes laïques ? Et comment interpréter le regain d’initiatives solidaires observé depuis le début du confinement ? C’est comme si le lien social se réchauffait à la faveur de la pandémie. Et que ce fléau, après avoir ravivé des comportements primitifs dans les supermarchés, révélait désormais un visage un peu plus flatteur de notre humanité.

Cascade d’initiatives solidaires 

Médecin du travail à la retraite en région parisienne, Jean-Michel, 72 ans analyse la situation avec humour : « Paradoxalement, j’ai l’impression qu’il a fallu que le gouvernement nous impose la règle de la distanciation sociale pour que les gens aient enfin envie de se rapprocher les uns des autres, de s’entraider… Les Français ont vraiment l’esprit de contradiction ! ». Loin d’être une spécificité tricolore, cette manière de réagir se retrouve un peu partout dans le monde. C’est généralement lorsqu’une catastrophe survient que les gens (re)découvrent l’importance du lien aux autres, les vertus de la socialisation et de la solidarité.

En ce sens, la crise peut aussi générer une prise de conscience salutaire. C’est ce qu’écrivait, en 1994, dans la Revue de psychologie de la motivation, la psychologue Maridjo Graner. « Conformément à la loi du progrès évolutif, l’angoisse réveillée par les menaces multiples que notre époque véhicule suscite de nombreuses prises de conscience : la réflexion contemporaine embrasse le biologique comme le philosophique, l’éthique comme le psychologique, le politique comme l’écologique. Elle débouche déjà sur la découverte ou la redécouverte des valeurs de solidarité qui pourront guider les choix décisifs vers l’organisation de sociétés viables pour elles-mêmes et pour celles qui leur succéderont ».

La pandémie de coronavirus correspond à l’un de ces moments de lucidité. Soudain, l’essentiel reprend sa place. Et la menace réactive ce qu’il y a de meilleur en nous : la gratitude, le partage, l’altruisme. Depuis le début du confinement, individuelles ou collectives, les initiatives solidaires fleurissent : garde d’enfants de soignants, courses pour les personnes âgées isolées, groupes Facebook, cagnottes en ligne, fourniture d’attestations de sortie, aide dans les démarches administratives, dons de repas, prêt de logements, fabrication de masques… Au pied des immeubles, près des boîtes à lettres, les voisins sont invités à exprimer leurs besoins et/ou proposer leurs services sur une liste d’entraide partagée par les résidents. Les associations humanitaires enregistrent des pics d’appels téléphoniques. Des éditeurs offrent des livres en libre téléchargement, des abonnements gratuits en ligne, les diffuseurs des films, les musées des expos virtuelles… Des enseignes commerciales offrent leurs services aux collectivités locales, aux hôpitaux et aux cliniques. Des restaurateurs, contraints à la fermeture, recyclent leurs denrées en paniers repas pour les distribuer aux plus démunis etc…

On assiste à un impressionnant festival d’actions solidaires depuis le début du confinement. Chacun veut aider, participer, contribuer, partager, exprimer sa gratitude… Dans une étude publiée en 2017 par Rebecca Shankland, maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie à l’Université Pierre Mendès-France (Grenoble) et le célèbre psychiatre Christophe André, la gratitude apparaît comme un puissant facteur prosocial. « Sur le plan comportemental, elle favorise la mise en œuvre de comportements prosociaux : plus un individu se sent reconnaissant, plus il a tendance à mettre en œuvre des comportements d’aide, non seulement envers la personne à l’origine du sentiment de gratitude, mais aussi envers des tiers. Ainsi, plusieurs mécanismes permettraient d’expliquer les raisons pour lesquelles la gratitude entraîne de nombreux effets positifs ». 

Afflux record de bénévoles !

Geneviève Chêne, directrice générale de la réserve sanitaire relevait, le 19 mars dernier au micro de France-Info, « un afflux énorme de bénévoles avec 36 000 inscrits à l’heure actuelle ». Composée de professionnels de la santé qui n’exercent plus depuis moins de cinq ans (médecins, infirmiers, soignants, kinésithérapeutes, dentistes…), notamment des jeunes retraités, la réserve sanitaire a déjà été mobilisée lors de précédentes épidémies (zika et chikungunya aux Antilles en 2015 et 2016, grippe et rougeole en métropole à la même époque) et aussi après les attentats qui avaient frappé Paris en 2015. Cette fois, « le site a littéralement explosé et est presque bloqué du fait des demandes ! », a déclaré Geneviève Chêne.

Dans le même esprit, le gouvernement lance ce lundi 23 mars la plateforme jeveuxaider.gouv.fr, une « réserve civique Covid-19 ». Objectif : garantir la continuité des activités vitales pour les plus précaires. Conçue en lien avec les plus grands réseaux associatifs et les plateformes associatives déjà existantes, elle permettra aux structures (associations, CCAS, MDPH, collectivités, opérateurs publics, etc.) de faire état de leurs besoins autour de 4 missions vitales :

  • Aide alimentaire et d’urgence.
  • Garde exceptionnelle d’enfants de soignants ou d’une structure de l’Aide Sociale à l’Enfance.
  • Lien (téléphonique, visio, mail, etc.) avec les personnes fragiles isolées : personnes âgées, malades ou en situation de handicap.
  • Solidarité de proximité : courses de produits essentiels pour les voisins (fragiles, isolés, handicapés).

Une aubaine pour les associations ! Car, avec la crise sanitaire et le confinement, celles-ci souffrent d’une pénurie de forces vives. En temps normal, elles s’appuient sur une ressource bénévole bien souvent âgée : les trois quarts de leurs bénévoles ont plus de 70 ans. Plusieurs points de distribution pour les plus démunis ont déjà dû fermer leurs portes ces derniers jours faute de bénévoles. Les conséquences, pour les plus vulnérables, sont lourdes. Car le confinement fait peser un risque sur les personnes fragiles isolées, âgées, en situation de handicap ou atteintes de maladies chroniques. « Si nos forces sont concentrées sur le front de la lutte sanitaire, notre réponse sociale ne peut être reléguée au second plan. La centralisation de ces missions essentielles sur le site jeveuxaider.gouv.fr garantit leur visibilité, et donc le fait qu’aucun territoire ne soit oublié », souligne le cabinet de Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, à l’origine de cette initiative.

Dans la joie du don

L’impressionnante chaîne de solidarité qui se déploie depuis le début de la crise témoigne de notre capacité collective à faire preuve de gratitude et d’altruisme dans l’adversité. A transcender nos peurs et à dépasser les réflexes de repli et d’agressivité qu’elle induit pour préserver le bien commun. L’individualisme n’est pas fatal lorsqu’une catastrophe survient.  Contrairement aux idées répandues, la coopération et le partage sont des réactions qui ne sont pas exceptionnelles dans de telles circonstances. Il s’agit d’ailleurs souvent d’un impératif de survie…  

Mais nous pouvons aussi considérer, avec le philosophe Alexandre Jollien, que l’altruisme est notre nature profonde. « Nous sommes des êtres de liens, nous cohabitons dans la même maison. Le partage est inscrit dans notre nature, au fond de notre être. Si de surcroît, poser des actes de générosité nous décentre, nous sort de nous-mêmes et nous installe dans la joie du don, c’est un cadeau. Ce n’est jamais l’ego qui est solidaire mais une dimension bien plus profonde de notre intériorité », estimait-il dans une interview accordée à Essentiel Santé Magazine. Plusieurs études menées par des neuroscientifiques américains de l’Université de Californie – Los Angeles (UCLA), en 2015, valident cette analyse. En explorant les zones du cerveau responsables de l’empathie et celles qui la freinent, ils ont découvert que l’altruisme est inscrit au plus profond de nous.

Grâce à la stimulation magnétique transcrânienne (SMT), pendant 40 secondes, des régions cérébrales opposées à l’empathie, ils ont réussi à « désactiver » la tendance à l’égoïsme de certains neurones. Les impulsions envoyées dans le cortex préfrontal des participants à cette expérimentation ont augmenté de 50% leur générosité par rapport au groupe témoin. « Le fait de bloquer cette zone semble développer leur capacité d’empathie et de générosité. Nous pensons qu’en tempérant cette zone nous pourrons révéler l’altruisme. Ceci est potentiellement révolutionnaire ! », s’est réjoui Leonardo Christov-Moore, l’un des chercheurs de l’Institut de neurosciences et de comportement humain à UCLA. 40 petites secondes de soins qui pourraient changer une vie entière.

Nasser Negrouche

Sources et références
1-Levitin, D.J. (2009).  The world in six songs : How the musical brain createdhuman nature. New York, NY : Penguin Group.
2- L. Bourgeois, Solidarité, Paris, Armand Colin, 1896. Nouvelle édition augmentée : Latresne, Le bord de l’eau, 2008.
3- Revue de psychologie de la motivation n°17 (1994). « Les fondements du lien social », par Maridjo Graner.
4- Rebecca Shankland et Christophe André, « Gratitude et bien-être social : mécanismes explicatifs des effets de la gratitude sur le bien-être individuel et collectif ». Revue québécoise de psychologie, 2017.

2 comments

  • Merci pour cette Mercillaise. Cependant il ne faut pas oublier les exceptions qui , sans doute, confirment la règle. Certaines « blouses blanches » reçoivent , en ce moment , des mails ou des lettres tendant à les « exclure » sous prétexte qu’ils pourraient être contaminant. Puisque nous sommes en « guerre ». Rappelons nous la dernière : des gestes altruistes d’une grande humanité mais aussi des bassesses innommables…. Le partage et le don sont dans la nature humaine mais pour certains il faut les chercher très loin sous une belle couche de boue . Esperons rester toujours dans ce qu’elle a de meilleur ….l’humanité…

    • Merci Jean-Marie pour ce commentaire qui nous invite à la réflexion… Croyons donc dans le meilleur de l’humanité !