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Mieux lutter contre l’épidémie grâce au « nudge »

Comment inciter des millions de personnes à respecter les règles du confinement ? Pourquoi pas en utilisant le « nudge », une méthode fondée sur des incitations légères aux effets spectaculaires.

C’est un appel au secours, lancé au début de l’épidémie en Italie par Federico Raimondi Slepoi, le directeur de R2, la toute nouvelle Unité des politiques comportementales de la municipalité de Rome. En 24 heures, des chercheurs d’Australie, des Etats-Unis et de Grande Bretagne ont répondu à son appel et se sont rassemblés dans un groupe Whatsapp pour mettre en place un plan d’urgence. Objectif : trouver des méthodes efficaces pour inciter les gens à adopter les bonnes attitudes face à l’épidémie, celles qui permettent de lutter le plus efficacement possible contre la propagation du virus. Car avant que les scientifiques ne mettent au point un vaccin ou un traitement contre le coronavirus, ce sont bien nos comportements collectifs qui vont permettre de sauver des vies.

Problème : il ne suffit pas de dire « restez confinés, lavez-vous les mains et gardez vos distances avec les autres » pour que les humains s’exécutent. Sorties sans attestation, non respect du confinement dans certains quartiers, attroupements : on le voit bien, la discipline n’est pas au rendez-vous… L’humain est un être fondamentalement… biaisé, soumis à ce que les scientifiques nomment des « biais cognitifs ». C’est-à-dire des mécanismes de pensée qui sont le fruit de l’évolution et de la façon dont notre cerveau s’est adapté à son environnement à travers les siècles. Une sorte d ’«inconscient cognitif », des schémas mentaux que nous avons pris l’habitude d’appliquer automatiquement, un peu paresseusement. Et qui bien souvent nous égarent… La preuve : nous nous précipitons dans les supermarchés et jouons des coudes dans les rayons de papier toilette alors qu’il faudrait rester bien tranquillement chez soi (voir ici notre article sur le FOMO).

Des petites incitations aux grands effets

Plutôt que de mettre en place des politiques qui s’adresseraient à un citoyen idéal, rationnel, qui finalement n’existe pas; les experts en sciences comportementales proposent de prendre en compte nos lacunes et nos failles pour changer plus efficacement nos comportements. Aux États-Unis, c’est un best-seller qui, en 2008, a lancé le mouvement : Nudge : comment inspirer la bonne décision, écrit par ­l’économiste Richard Thaler et le juriste Cass Sunstein. Les auteurs conseillent aux États de ­montrer la voie à leurs administrés avec des incitations légères nudge signifie « coup de pouce » en anglais –, mais efficaces parce que fondées sur une meilleure connaissance du ­fonctionnement cérébral… Au Royaume-Uni, le gouvernement Cameron a mis en place une équipe dédiée aux connaissances comportementales, le Behavioural Insights Team (BIT). En France aussi, depuis mars 2018, la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) dispose d’un département spécialisé dans les sciences comportementales. Ses interventions ont notamment permis d’ augmenter considérablement le nombre de télédéclarations des impôts grâce à quelques petits « trucs ». Comme le fait de mentionner sur le site le nombre d’administrés ayant déjà sauté le pas. Appliquée à de nombreux domaines, du plus anecdotique au plus sérieux, cette nouvelle approche donne des résultats concrets. À l’aéroport d’Amsterdam, le simple fait d’avoir apposé un autocollant représentant une mouche au fond des urinoirs a permis de réduire sensiblement les frais de nettoyage des toilettes…

Le puissant levier du bien commun

Comment appliquer le « nudge » à la lutte contre l’épidémie de Coronavirus ? Il existe une façon simple de se servir des enseignements des sciences comportementales : placer des distributeurs de gels hydroalcooliques dans les endroits de passage, là où on ne peut pas ne pas les voir. Ou bien aménager les supermarchés pour obliger les clients à respecter, presque malgré eux, les distances sanitaires nécessaires. En somme, il s’agit de faire en sorte que les gens soient rationnels et disciplinés sans s’en rendre compte. Mais il existe un levier bien plus puissant : le sentiment d’agir pour le bien commun. Cela peut paraître contre-intuitif mais l’altruisme est l’une de nos motivations principales. Molly Crockett, une neuroscientifique de l’Université de Yale, a mené une étude dont l’objectif était de tester l’efficacité de différents types de « messages » éthiques pour lutter contre l’épidémie. Elle et ses collègues ont constaté, par exemple, que les volontaires étaient plus disposés à faire de petits sacrifices pour le bien de tous que pour leur avantage personnel. A certaines conditions tout de même… En fait, une majorité d’entre nous sommes ce que les scientifiques nomment des « coopérateurs conditionnels ». Nous sommes ainsi disposés à faire des sacrifices pour le bien commun à condition que les autres fassent de même. Et nous cessons de coopérer si trop de gens sont indifférents à la cause.

3 principes clés pour changer les comportements

Alors comment renforcer cet élan spontané ? L’équipe de Pete Lunn, un économiste irlandais fondateur du Behavioural Research Unit à Dublin a ainsi listé les trois facteurs qui permettent de favoriser cette attitude :

  1. Communiquer le plus clairement possible. La coopération est plus forte si les dirigeants d’une communauté décrivent clairement et de façon répétée le comportement collectif souhaité. Et expliquent aussi pourquoi celui-ci est dans l’intérêt du groupe. Les médias ont un rôle important à jouer. Se focaliser sur les personnes qui enfreignent les règles peut ainsi avoir un effet démobilisant.
  2. Exalter le sentiment d’appartenance au groupe. « Plus les gens ont le sentiment d’apporter une contribution à l’action d’une même communauté, plus ceux-ci se montrent altruistes », affirme le chercheur. C’est le moment d’évoquer ce qui unit un groupe, ses valeurs, son histoire commune.
  3. Mettre en place des sanctions appropriées et proportionnées. Celles-ci doivent exprimer la désapprobation de l’ensemble du groupe. Attention donc à bien les doser : des punitions trop fortes et/ou accompagnées de violences policières, peuvent ainsi être contre-productives.

Judith Mercadet

Sources et références :
Le rapport de Pete Lunn : https://www.esri.ie/publications/using-behavioural-science-to-help-fight-the-coronavirus
– Une étude de Molly Crockett https://www.pnas.org/content/111/48/17320
– Un article de Scientific American sur la mobilisation des chercheurs en sciences comportementales :https://www.scientificamerican.com/article/near-real-time-studies-look-for-behavioral-measures-vital-to-stopping-coronavirus/

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