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L’incroyable intelligence des pieuvres

Capable de traiter des informations à grande vitesse, d’élaborer des stratégies, de changer de couleur et peut-être même de rêver…

C’est la vidéo nature du moment. Postée le 2 octobre sur Facebook par Brut nature, elle a déjà été visionnée plus de 250 000 fois. On y voit une magnifique pieuvre changer de couleur, passant d’un blanc crémeux à un imprimé vert puis à un violet profond. En fait, il s’agit de Heide, la pieuvre de David Scheel, un professeur de biologie marine de l’université pacifique d’Alaska. Celui-ci a filmée l’animal pendant son sommeil. Heide serait-elle en train de rêver ? Difficile de le savoir…

Étonnants céphalopodes – une classe de mollusques qui inclut les pieuvres, calmars, seiches et nautiles –, si différents de nous avec leur corps mou et leurs tentacules, mais dont l’intelligence nous est pourtant étrangement familière. Certaines espèces utilisent même des outils, comme l’Amphictopus marginatus, qui se balade avec deux moitiés de noix de coco pour se cacher dedans au cas où il croiserait un prédateur. La plupart aiment jouer, signe de capacités cognitives importantes. Et puis, il y a ce regard troublant. Les yeux du poulpe ont le même aspect, la même texture que ceux des humains.

Des neurones dans les bras

Les céphalopodes arrivent à traiter très rapidement des quantités phénoménales d’informations avant de prendre une décision pour capturer leurs proies ou se protéger d’une menace. Ils reconnaissent instantanément le prédateur qui rôde, puis utilisent la stratégie la plus adaptée. Ils se camouflent en adoptant la couleur des cailloux sur lesquels ils se trouvent grâce aux cellules chromatophores de leur peau. Des prouesses rendues possibles par un système sanguin mis sous pression grâce à trois cœurs. Et surtout par un cerveau qui compte entre 300 et 500 millions de neurones dont certains délocalisés… dans les bras ! Ceux-ci jouissent même d’une forme d’indépendance. « Chez le poulpe, il y a un chef d’orchestre, le cerveau central, mais les joueurs qu’il dirige sont enclins à l’improvisation (….) Ou ce sont peut-être des musiciens qui ne reçoivent que des instructions générales de la part de celui qui bat la mesure… », écrit ainsi joliment le philosophe australien Peter Godfrey-Smith dans son livre le Prince des profondeurs, consacré aux céphalopodes.

Une énigme pour les scientifiques


Comment expliquer une telle intelligence? Celle-ci est encore une énigme pour les scientifiques. Généralement, les animaux les plus doués disposent d’un cerveau imposant en comparaison avec leur corps, ils vivent longtemps et nouent des liens avec leurs congénères. Rien de tout cela chez les céphalopodes. Certains atteignent l’âge de 5 ans quand d’autres ne vivent que quelques mois. Ce ne sont pas non plus des animaux sociaux. Les générations ne se croisent pas : mâle et femelle meurent peu après la naissance de leur progéniture. Le rejeton fait son apprentissage en observant ses parents à travers la paroi de son œuf !


De petits bijoux de technologie

Pour comprendre, il faut remonter le fil de leur évolution, étonnamment longue. Ces espèces ont évolué pendant des millions d’années. Pendant ce temps, elles ont été en compétition avec des prédateurs plus intelligents, ont cohabité avec d’autres et ont dû sans cesse s’adapter. Résultat: ce sont de petits bijoux de technologie. Comparés aux céphalopodes, les rats ou les souris sont comme des vieux téléphones à cadran face à un Smartphone. Leur intelligence vient sans doute de leur vulnérabilité : ils ne disposent pas de dents carnassières, ni de nageoires puissantes pour lutter ou fuir rapidement. Un peu comme les humains…

Doués de conscience ?

Au point d’avoir conscience d’eux-mêmes, comme nous ? Possible. Selon le neuroscientifique Stanilas Dehaene, la conscience est sans doute apparue chez les humains quand ils sont sortis de leurs cavernes pour explorer le monde, lorsque la nouveauté, la surprise – une rencontre, un accident… – les a fait passer d’une routine inconsciente à la réflexion consciente.Or, les conditions pour que le même processus se soit produit chez les céphalopodes semblent réunies : « Ils possèdent des capacités sensorielles importantes et d’extraordinaires habiletés comportementales. Ils ont, du moins certaines espèces, un style d’exploration opportuniste et exploratoire », constate Peter Godfrey-Smith. Nous ne sommes peut-être pas au bout de nos surprises…

Sources et références :
Un livre : Le Prince des profondeurs. L’intelligence exceptionnelle des poulpes, de Peter Godfrey-Smith, Flammarion, 2018.
Une video : La conférence très intéressante de Ludovic Dickel, professeur d’éthologie à l’Université de Caen et spécialiste des céphalopodes :


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