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Lubrizol : le déni pour éteindre l’incendie ?

Après 8 jours de silence, Eric Schnur, le PDG de l’usine rouennaise classée Seveso (seuil haut) a confié au Figaro sa « surprise d’apprendre que des personnes ont eu des problèmes de santé… ». Une déclaration stupéfiante qui révèle la puissance d’un mécanisme de défense psychique bien connu : le déni.

224 passages aux urgences, 8 hospitalisations, des milliers d’habitants qui se plaignent d’irritation à la gorge, de maux de tête, de nausées, de vertiges ou encore de difficultés respiratoires… Sans compter les personnes en état de choc, les angoisses (justifiées ou non) des habitants en ce qui concerne les conséquences sur le long terme des 5253 tonnes de produits chimiques « à risques » qui sont partis en fumée le 26 septembre dernier à Rouen. Même s’il n’est pas définitif, le bilan sanitaire de l’incendie de l’usine Lubrizol établi par l’Agence régionale de Santé (ARS) de Normandie est éloquent. Et ne parlons pas de l’impact environnemental dont on commence seulement à mesurer la gravité…

Un mécanisme puissant

Pourtant, cela n’a pas empêché Eric Schnur, le PDG de l’entreprise, filiale du conglomérat américain Berkshire Hathaway, de confier au Figaro sa « surprise d’apprendre que des personnes ont eu des problèmes de santé ». Il faisait notamment allusion aux policiers et aux pompiers (présents sur le site au moment de l’incendie) qui ont éprouvé des malaises ou ont été victimes de vomissements. Et malgré les plaintes des habitants et les symptômes exprimés par certains d’entre eux, Eric Schnur enfonce le clou : « Nous n’attendons pas de conséquences sur la santé des populations autres que les irritations provoquées par le fumées ». Même si elles ont pu choquer, ces déclarations intempestives ne doivent pas être interprétées, pour autant, comme un manque d’empathie ou une forme de mépris à l’égard des personnes exposées. Elles traduisent en réalité la puissance d’un mécanisme de défense inconscient bien connu : le déni.

Comme un airbag mental

De quoi s’agit-il exactement ? Face à une réalité insupportable, susceptible de conduire à un effondrement psychique du sujet, le déni fonctionne comme une sorte d’airbag mental. Il se déclenche automatiquement pour nous protéger d’un choc psychologique, émotionnel trop violent pour être accepté en toute conscience. C’est ce qui passe, par exemple, lorsqu’un patient apprend qu’il a le cancer et qu’il n’admet pas la réalité de sa maladie. Ou quand une jeune femme, malgré les résultats positifs d’un test de grossesse, refuse de reconnaître qu’elle est enceinte.
Face à un drame comme celui de la catastrophe industrielle de Rouen, l’activation de ce mécanisme de défense chez le dirigeant du site est parfaitement « normale ». Qui accepterait de porter sereinement la responsabilité d’un tel événement et de ses conséquences potentielles sur la santé des habitants et l’environnement ? Devant une telle réalité, le cerveau brandit son bouclier psychique préféré – le déni – pour vous épargner un coup de glaive qui pourrait bien vous être fatal… C’est comme si un rideau mental opaque était tiré entre les faits à l’origine de la perception traumatisante et votre conscience. Pour vous protéger et vous éviter de sombrer. Le temps de retrouver la force d’admettre, de reconnaître et d’accepter la réalité. Comme pour un deuil. Ce traitement d’urgence que votre psychisme s’auto-administre pour échapper au pire a donc son utilité.

Pour survivre et se reconstruire

Mais attention : le déni, dans sa version la plus fréquente (et non pathologique) a une durée de vie limitée. A la différence du déni psychotique qui correspond à une altération majeure et durable de l’appréciation de la réalité. Le déni « habituel » est un phénomène temporaire et adaptatif qui permet de neutraliser provisoirement le traumatisme déclencheur pour se préparer à en accepter progressivement la réalité. A la fois « amortisseur psychique » et facteur de résilience, il permet de ne pas perdre pied en situation de crise et d’envisager les conditions d’une reconstruction personnelle après la période de « gel de la terreur ». La confrontation au réel reste évidemment inéluctable… A Rouen comme ailleurs, après les nuages de fumée viendra le temps des comptes et des responsabilités.

Eric Jamin

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