Tu seras ingénieur mon fils ! Tu seras traductrice ma fille ! Depuis toujours, des considérations infondées sur les capacités intellectuelles des femmes les ont incitées à s’orienter vers certains apprentissages ou certains métiers. Encore aujourd’hui, il est parfois considéré que les garçons sont plus aptes aux filières scientifiques et les filles aux filières littéraires. Et que ces dernières seraient moins compétentes dans les tâches numériques et visuospatiales, donc moins aptes à réussir dans certains domaines. Une étude récente sur les performances des unes et des autres à des tests de quotient intellectuel [QI], ainsi qu’une analyse de 35 années d’étalonnage de ces tests, démontrent que ces croyances n’ont plus lieu d’être.
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L’auteur de l’étude, Jacques Grégoire, professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université Catholique de Louvain, présente de nouvelles données empiriques convaincantes sur l’intelligence et le genre. Il connait particulièrement ce sujet puisque son expertise dans la psychométrie est reconnue mondialement. Par ailleurs, il a participé à l’élaboration américaine des tests de QI adultes (WAIS-IV, en vigueur depuis 2008) et enfants (WISC-IV puis WISC-V), ainsi qu’à l’adaptation française de tous les tests depuis le WISC-III.
Il a comparé les données d’étalonnage utilisées pour la WISC-V (représentative de la population française de 6 à 16 ans, 517 garçons et 532 filles).
Des performances cognitives identiques
Les résultats sont statistiquement parlant et ne laissent désormais aucune place au doute : il n’y a pas de différence significative entre le QI total des garçons et des filles. Le QI total calculé avec le WISC-V fournit une estimation valide de l’intelligence selon le modèle CHC (Cattell-Horn-Carroll). Il n’y a pas de différence significative dans la variance des résultats, c’est-à-dire qu’il y a autant de garçons que de filles dans les hautes ou les basses performances cognitives.
Une vitesse de traitement plus rapide chez les filles
Le QI total est calculé pour la WISC-V sur base de 5 indices, reposant chacun sur des épreuves ou subtests : compréhension verbale, visuospatial, raisonnement fluide, mémoire de travail et vitesse de traitement. Il n’y a pas de différence significative entre les garçons et les filles pour les quatre premiers indices. Une différence significative d’ampleur modérée apparaît au bénéfice des filles pour l’indice vitesse de traitement.
« Cette différence peut expliquer, en partie, le comportement scolaire plus appliqué des filles et leurs performances scolaires supérieures à celles des garçons à l’adolescence et au début de l’âge adulte »
Quelques hypothèses, restant à vérifier, ont été émises pour expliquer cette différence :
- Meilleures compétences en lecture (favoriseraient un traitement plus rapide des stimuli visuels),
- Motricité fine plus précise et meilleure coordination oculomotrice,
- Contrôle attentionnel plus efficace.
« Cette différence peut expliquer, en partie, le comportement scolaire plus appliqué des filles et leurs performances scolaires supérieures à celles des garçons à l’adolescence et au début de l’âge adulte. En dehors de la différence dans l’indice de Vitesse de traitement, les données d’étalonnage du WISC-V ne mettent en évidence aucune prédisposition intellectuelle particulière aux filles ou aux garçons pour certains apprentissages ni pour certaines filières de formation. », conclut Jacques Grégoire.
Victor Bernard
Sources et références :
Grégoire, J. (2020). Les différences intellectuelles entre garçons et filles, 35 ans d’évolution du WISC-R au WISC-V. A.N.A.E., 169, 673-681.
La nouvelle Wechsler Intelligence Scale for Children (WISC)
Les échelles de Wechsler […] procurent non seulement une mesure globale de l’intelligence sous la forme d’un QI, mais aussi des mesures de plusieurs facettes de l’intelligence qui nous permettent d’examiner certaines compétences intellectuelles susceptibles de fonctionner de manière différenciée en fonction du sexe des individus. Un autre avantage des tests de Wechsler est la qualité de leur construction. Les subtests et échelles composites (QI et Indices) ont toujours été élaborés avec soin et procurent des mesures dont la validité et la fidélité sont démontrées. Peu de tests d’intelligence possèdent des qualités métriques du niveau des échelles de Wechsler.
L’échelle d’intelligence de Wechsler pour les enfants (WISC) est un des tests cliniques les plus utilisés en France, en Belgique et en Suisse. La version française de sa 5e édition est parue en 2016 et son utilisation tend à se généraliser en clinique de l’enfant et de l’adolescent. Cette nouvelle édition représente une évolution majeure. À la différence des versions précédentes, elle se base explicitement sur le modèle de l’intelligence, élaboré par Carroll et par Cattell et Horn, qui est aujourd’hui désigné par l’acronyme CHC. Ce modèle hiérarchique de l’intelligence comprend trois niveaux. Au premier niveau se trouvent les aptitudes cognitives élémentaires. Le second niveau du modèle comprend un nombre réduit d’aptitudes de grande étendue qui, chacune, coordonne une gamme d’aptitudes du premier niveau. Enfin, au sommet du modèle, une aptitude général intègre l’ensemble des aptitudes et justifie le calcul d’une note globale au test, en l’occurrence un QI [quotient intellectuel].
Le WISC-V mesure cinq aptitudes de grande étendue du modèle CHC : l’intelligence cristallisée (Gc), l’intelligence fluide (Gf), le traitement visuel (Gv), la mémoire à court terme (Gsm) et la vitesse de traitement (Gs). Ces aptitudes sont mesurées respectivement par les Indices Compréhension verbale, Raisonnement fluide, Visuospatial, Mémoire de travail et Vitesse de traitement. Chaque indice est évalué à l’aide de deux épreuves. Parmi les dix épreuves servant au calcul des cinq indices, sept sont également utilisées pour calculer un QI. Cette nouvelle organisation du WISC peut déconcerter les praticiens habitués à calculer le QI sur la base de toutes les épreuves servant au calcul des indices. Par ailleurs, l’introduction de nouvelles épreuves, la révision des plus anciennes et, surtout, le remplacement de l’ancien indice Raisonnement perceptif par deux nouveaux indices (Raisonnement fluide et Visuospatial), obligent les praticiens à revoir leurs représentations de ce que mesurent effectivement les indices et de ce qu’ils peuvent apporter à la compréhension clinique du fonctionnement cognitif.
Source : Grégoire, J. (2020). Les différences intellectuelles entre garçons et filles, 35 ans d’évolution du WISC-R au WISC-V. A.N.A.E., 169, 673-681.
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