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Affaire Matzneff : dans le cerveau des adolescent.e.s sous emprise

Peut-on être consentant.e quand on a 13 ans ? Non évidemment ! Et les neurosciences ne laissent place à aucun doute.

C’est un livre choc qu’il faudrait mettre entre beaucoup de mains. Dans Le Consentement (éditions Grasset), Vanessa Springora raconte comment, à 13 ans, elle est tombée sous l’emprise de l’écrivain Gabriel Matzneff. Elle est une ado en manque de père, fascinée par le monde de l’édition et des écrivains, dans lequel sa mère évolue. Il a 50 ans, est adulé par le Tout Paris qui ferme les yeux sur ses crimes. Car Gabriel Matzneff est un « pédophile » notoire, adepte de prostitution enfantine. Il lui parle de « grand amour » et elle se sent l’élue. Vanessa Springora sortira de cette expérience exsangue.

« Il m’a fallu du temps et un certain nombre de thérapies pour identifier que plusieurs de mes problèmes découlaient directement de cette histoire. Troubles de l’identité, de la sexualité, de la socialisation, difficultés à trouver une place dans la vie… Le début de mon existence était très mal parti. » témoigne-t-elle dans une interview récente accordée au magazine Elle.

Dans son livre, elle décrit « toute l’ambiguïté de se sentir complice de cet amour que l’on a forcément ressenti, de cette attirance qu’on a soi-même suscitée, qui nous lie les mains ». Piégée dans un sentiment de culpabilité, Vanessa Springora n’a jamais porté plainte. Consentante ? Mais peut-on l’être vraiment quand on a 13 ans ? Non, évidemment ! Et les neurosciences confirment cette incapacité des enfants et des adolescent.e.s à exprimer un véritable consentement. Quand bien même certaines de leurs attitudes peuvent être interprétées comme des « appels » ainsi que le confient parfois leurs agresseurs.

Le cerveau immature des adolescents

On sait aujourd’hui que le cortex préfrontal, la zone du cerveau qui est en charge de la gestion des pulsions et de la projection dans l’avenir n’est tout à fait développé qu’à partir de 20 ans en moyenne. Ce serait d’abord une question de connectivité entre les différentes parties du cerveau. Surtout, il existe un décalage chez l’adolescent entre la maturité hormonale et la maturité cérébrale. Dès 12 ans, avec la puberté, le cerveau est inondé des hormones sexuelles, qui poussent l’adolescent à repousser ses limites. L’adolescent peut alors éprouver des désirs dont il ne perçoit pas réellement les conséquences. Son cortex préfrontal n’est alors pas en mesure de réfréner ses pulsions… D’où bien souvent des prises de risque inconsidérées et des comportements dangereux.

« Quand j’ai été entourée d’adolescents de 13 ou 14 ans, j’ai réalisé que mon ressenti d’alors n’avait rien à voir avec la réalité, témoigne ainsi Vanessa Springora. On m’a mise à une place d’adulte. J’ai compris après coup combien les adolescents sont vulnérables. J’ai vu à la fois leur besoin de séduction et leur peur d’entrer dans la sexualité… J’ai compris qu’à 14 ans j’étais tout sauf une adulte et une femme. Et j’ai senti une violence très forte. »

Le prestige, au coeur des processus d’apprentissage de l’enfant

Les adultes exerçant une emprise psychologique sont souvent des personnes de l’entourage des victimes, qui profitent d’un ascendant sur elles, dans leur famille, à l’école, dans un club sportif, par exemple… Les enfants et adolescents sont particulièrement sensibles au « prestige ». Pourquoi ? Parce que celui-ci est un élément important de nos processus d’apprentissage. Joseph Henrich, professeur de biologie de l’évolution humaine à l’Université de Harvard explique ainsi dans son livre L’intelligence collective, (éditions Les Arènes ) combien notre cerveau est conçu pour apprendre des autres.

« Dès 18 mois, nous apprenons volontiers de personnes qui ne sont pas nos parents, explique-t-il. Nous regardons autour de nous et nous essayons de déterminer qui pourrait devenir un bon modèle. »

Un enfant de 18 mois est ainsi capable de déterminer quelle personne pourra lui donner des informations crédibles et auxquelles il pourra se fier. Si vous mettez deux adultes devant un bébé de cet âge et que l’un des deux se trompe en effectuant une tâche, le bébé imitera ensuite spontanément l’autre personne lorsqu’il cherchera des informations sur la manière d’utiliser un outil, un objet ou même quel mot employer. L’enfant semble avoir enregistré qui est digne de confiance et vers qui se tourner pour apprendre de nouvelles choses. Pour cela, il utilise des critères de confiance et de succès. C’est pour cela que les ados peuvent adopter des comportements souvent irrationnels de « fans », avec tous les excès que cela implique.

« J’ai eu en face de moi un homme qui présentait toutes les apparences d’un adulte normal, qui était alors beaucoup plus âgé que mes parents, d’un écrivain célèbre et prestigieux, invité sur les plateaux de télé, affiché en grand dans la librairie de mon quartier… Comment une adolescente pouvait-elle comprendre que son désir était pathologique, et qu’il fallait fuir ? « 

L’adulte est celui qui dit « stop »

Le rôle de l’adulte est ainsi de faire rigoureusement respecter les limites. C’est clairement à l’adulte de dire : « stop ! » face à une situation ambigüe avec un.e mineur.e. Dans une chronique émouvante publiée dans L’Obs, la journaliste Sophie Fontanel raconte ainsi comment un adulte a su, dans son cas, poser la limite lorsqu’elle était ado.

« Je me souviens de Marc, un ami de mes parents. J’avais 12 ans et, lui… la cinquantaine. Je le trouvais irrésistible, une sorte de Gary Cooper, et j’aimais le respirer. Il m’adorait. Une fois, on faisait tous la sieste, étendus sous des arbres dans le sud de la France. J’ai roulé contre son dos pour le respirer avec encore plus d’insistance que d’habitude. Au milieu du sommeil de tous les autres, je ne sais pas ce que j’essayais, mais j’essayais. Il s’est défait de mon étreinte, s’est retourné et, avec une fermeté totale qui ne m’a pas échappé, m’a dit : « Stop ». D’un simple mot, il m’a permis de grandir sans me perdre dans un dédale. C’est ça, un adulte.( …) C’est parce qu’une jeune personne est capable de se précipiter dans la gueule des loups les plus carnassiers, et même en rêvant de se faire dévorer, qu’il faut, en face, des adultes prévenants, responsables. Et pas des prédateurs trop heureux de l’aubaine. »

Judith Marcadet

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