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Marwan Mery : « Mentir exige un effort cognitif supérieur à celui de dire la vérité »

Négociateur professionnel, spécialiste du mensonge, Marwan Mery est l’un des tous meilleurs experts mondiaux de la question. Il décode pour 6boolo la manière dont les affabulateurs professionnels s’y prennent pour tromper leur monde. Avec parfois un indéniable talent…

Les récentes révélations relatives aux affabulations du spécialiste des tueurs en série Stéphane Bourgoin ont relancé le débat sur ces personnes qui s’installent dans le mensonge pendant une longue durée voire toute leur vie… Comment est-il possible de mentir à son conjoint, ses proches, ses collègues, ses amis sans éveiller le moindre soupçon pendant aussi longtemps ?

Marwan Mery : « À force de se répéter la même histoire, elle devient réelle, même quand ses fondements sont parfaitement spécieux. Si vous deviez raconter une expérience vécue à 100 personnes différentes, il est fort à parier que la dernière version ait peu de choses en commun avec la première. Et il y aura de grandes chances pour que l’histoire s’embellisse à mesure que vous la racontiez. Ensuite, par phénomène de dissonance cognitive, votre cerveau adopte très facilement cette nouvelle histoire, car elle est plus agréable et attractive. Il n’y a donc plus de mensonges pour le menteur, car il s’est convaincu lui-même de l’histoire qu’il a inventée. Et confondre quelqu’un persuadé de son mensonge devient une tâche très difficile. Ce qui fait que M. Bourgoin a certainement pu évoluer très facilement dans son cercle familial et amical sans éveiller le moindre soupçon ».

Que vous inspire ce genre d’affaires, souvent spectaculaires, qui révèlent aussi, d’une certaine manière, les aptitudes exceptionnelles de ces personnes qui parviennent à usurper sans grandes difficultés des identités privées, professionnelles, sociales, des fonctions… Cela exige tout de même des facultés et un culot hors du commun, non ?

Marwan Mery : « La science le montre et la réalité opérationnelle également : les menteurs professionnels sont dotés de facultés cognitives plus développées que des menteurs amateurs. Il est nécessaire de considérer que mentir exige un effort cognitif supérieur à celui de dire la vérité. Pourquoi ? Car le menteur devra créer un mensonge, s’assurer de sa cohérence, se remémorer ce qu’il a pu raconter auparavant, s’assurer que ces victimes le croient toujours, ajouter des éléments de contexte sans pour autant impacter la base de l’histoire, maîtriser ses réponses, exercer une forme de contrôle sur son corps pour limiter les fuites émotionnelles ou les réponses physiologiques… Bref, il faut en quelque sorte du talent, au-delà du sang-froid ».

Avez-vous déjà été confronté à ce genre de « menteurs professionnels » dans votre parcours personnel ? Si c’est le cas, êtes-vous parvenu à les démasquer et comment ?

Marwan Mery : « Oui à plusieurs reprises, mais je n’ai aucun mérite, nous en rencontrons tous, sans pour autant en avoir conscience. Je suis parvenu à confondre certains d’entre eux, surtout par un travail minutieux de récolte d’informations en amont auprès de différentes sources. Ensuite, lors de la phase de confrontation avec le menteur, il m’était possible de comparer ses dires à la réalité des faits en ma possession.

Dans mon métier, quand la pêche aux informations est pauvre, il est alors nécessaire d’imposer une surcharge cognitive au menteur afin de tester la crédibilité de ses propos.

Pour cela, par le questionnement stratégique et certaines tâches qu’il devra réaliser à son insu, je tâche de récolter de précieuses informations qui me permettront de porter un regard éclairé sur la situation. L’objectif est d’extraire de l’information et des aveux à l’insu du menteur. C’est un sujet très complexe et particulièrement technique ».

Pour vous, ces comportements relèvent-ils davantage de la manipulation ou bien de troubles psychologiques de l’identité ? Où se situe la frontière ? Dans les deux cas, est-il réellement possible de détecter le mensonge, notamment dans des cas comme celui de Jean-Claude Romand, faux médecin à l’OMS, qui a tué toute sa famille en janvier 1993 ?

Marwan Mery : « Ce type de comportement peut relever de la simple manipulation ou de troubles psychologiques. La définition que je donne au mensonge est la suivante : acte délibéré qui vise à tromper l’autre, c’est à dire à le conduire à tirer des conclusions erronées, sans le prévenir de votre dessein. En d’autres termes, nous mentons tous un peu tous les jours, mais fort heureusement, ces mensonges sont blancs et généralement bien intentionnés.

Les études scientifiques affirment que nous mentons tous entre 2 et 20 fois par jour.

Quand le mensonge s’installe et devient une routine, on peut parler de pathologie. Dans les faits, le mensonge se substitue presque systématiquement à un comportement honnête, par facilité et gains personnels ».

Existe-t-il, d’après votre expérience, des « menteurs professionnels » qui ont automatisé, intériorisé tous les mécanismes du mensonge et qui seraient donc « indétectables » en quelque sorte ? Notamment dans le monde de la criminalité, des affaires, de la politique, des mouvements sectaires… Ces profils restent-ils malgré tout repérables pour un esprit averti comme le vôtre ?

Marwan Mery : « Détecter le mensonge est dépendant de deux choses : de vos compétences et de la résistance que l’autre exerce. Personne n’est indétectable à proprement parler. Il y a toujours une faille, mais il est nécessaire d’avoir du temps, de l’expérience et beaucoup d’expertise pour ouvrir cette faille. Mais encore une fois, il n’y a rien de plus difficile que d’essayer de détecter le mensonge chez quelqu’un qui est persuadé de ce qu’il dit. Ce sont souvent les incohérences et les contradictions qui peuvent nous mettre la puce à l’oreille. Le non-verbal (expressions faciales, gestuelle ou réponses physiologiques) ou le para-verbal (hauteur tonale, pauses, rythme, silence…) n’apporteront pas beaucoup d’éléments de réponse. Nous nous concentrons surtout sur le verbal (structure, temps, pronoms, cohérence, distanciation…) pour mettre en lumière des anomalies. Car le menteur peut se contredire sans même sans rendre compte ».

Savez-vous si le cerveau et les capacités cognitives des grands menteurs sont les mêmes que ceux d’une personne « ordinaire » ?

Marwan Mery : « Comme précédemment exposé, les menteurs professionnels bénéficient de facultés cognitives généralement plus développées, car le mensonge nécessite de produire des efforts cognitifs proportionnels au degré de mensonge ».

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste, concrètement, la « détection du mensonge » dont vous êtes un expert. S’agit-il d’une science à part entière ou d’une discipline qui cherche encore une légitimité scientifique, une reconnaissance institutionnelle ? 

Marwan Mery : « La détection du mensonge est une science déductive, au même titre que la médecine. Il existe des milliers de publications scientifiques sur le sujet. Pourquoi, par moment, cette science cherche sa légitimité ? Tout simplement, parce qu’il existe beaucoup plus de charlatans que d’experts véritables.

À titre d’exemple et je pèse mes mots, 90% de ce que vous trouverez dans les ouvrages disponibles sur Internet ou dans les librairies ne reposent sur aucun fondement scientifique.

Et bien évidemment, ce sont ces livres qui se vendent le mieux, car vous avez une réponse toute faite à chaque page et des raccourcis terriblement dangereux. La détection du mensonge est une science complexe qui repose sur des faisceaux concordants et des hypothèses de travail. Rien n’est malheureusement instantané et automatique, comme beaucoup souhaiteraient le croire ».

Quels conseils pratiques simples pouvez-vous donner à nos lecteurs pour reconnaître des menteurs qui tenteraient de les abuser ? Comment réagir dans une telle situation ?

Marwan Mery : « C’est difficile de répondre à cette question, car il n’existe pas de baguette magique et des « trucs » automatiques. Gardez simplement en tête que nous travaillons essentiellement sur des anomalies comportementales pour détecter le mensonge, qui traduisent des écarts entre ce que vous pouvez dire et ce que votre corps peut exprimer à son insu. En substance, nous établissons dans un premier temps le comportement de base d’une personne, dans une situation dénuée de stress. Lors de la confrontation avec le menteur potentiel, si, sur des sujets particulièrement impliquants, on note des déviations par rapport au comportement de base, au niveau du verbal, para verbal ou non verbal, on est en droit de s’interroger pour creuser davantage, et ainsi peut-être révéler des indices de tromperie ».

Propos recueillis par Nasser Negrouche

Vous mentez !
Les hommes se grattent le nez quand ils mentent, les femmes évitent le contact oculaire quand elles bluffent, nos enfants sont de piètres menteurs… Ces affirmations sont fausses, comme beaucoup d’autres d’ailleurs ! Détecter le mensonge est complexe et souvent plus difficile qu’on ne l’imagine. Cependant, avec des outils éprouvés scientifiquement la tâche devient plus aisée et l’analyse plus précise. Mais ce n’est pas tout ! Quand on sait qu’une personne nous ment, comment la faire avouer ? Comment décrypter son comportement et poser les bonnes questions ? Dans cet ouvrage émaillé d’anecdotes vibrantes et réjouissantes, Marwan Mery livre sans retenue les techniques qu’il a utilisées durant vingt ans lors de négociations complexes, interrogatoires et entretiens à forts enjeux. Vous verrez qu’il existe des armes redoutables pour détecter le mensonge, démasquer les menteurs et obtenir la vérité.
« Vous mentez ! », Editions Eyrolles, 2014

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