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Unbelievable : le second supplice des femmes violées

Incrédulité, humiliations… Les femmes violées doivent souvent faire face au soupçon. C’est l’histoire de Marie, l’héroïne de Unbelievable, la série choc de Netflix.

C’est la série à ne pas manquer sur Netflix en ce moment. Unbelievable (Incroyable, en anglais) raconte l’histoire vraie de Marie Adler, une jeune femme violée par un violeur en série, dont le témoignage n’est pas pris au sérieux par la police de sa ville aux Etats-Unis. Elle sera même poursuivie pour fausse déclaration. Le cas de Marie Adler est loin d’être exceptionnel. Les scientifiques commencent peu à peu à comprendre comment le cerveau réagit lorsqu’il est confronté à un tel traumatisme. Et pourquoi la parole des femmes violées est si souvent mise en doute.

Etat de sidération et mémoire parcellaire

Lorsque nous vivons une situation de stress extrême comme lors d’un viol, nous laissons le système de défense de notre cerveau prendre le contrôle. Nous déconnectons notre cortex préfrontal, le siège de la prise de décision et de la raison, pour laisser le champ libre aux réflexes et aux habitudes. Nous pouvons même être littéralement paralysé. C’est l’effet de « sidération ».

Ce stress va aussi avoir des conséquences sur la façon dont notre cerveau va encoder ce que nous sommes en train de vivre. Nous retenons des éléments que nous n’aurions sans doute pas remarqués en temps normal : une odeur, un bruit, un détail insignifiant, etc. mais nous ne voyons pas forcément les détails qui sont, eux, importants pour l’enquête, comme la couleur du T-shirt ou bien la taille de l’agresseur.

La mécanique du doute

Il faut ajouter à cela les effets du stress lié à l’interrogatoire. Dans la série, Marie doit raconter plusieurs fois le viol au commissariat et à l’hôpital. Or, rien que le fait de se remémorer des événements traumatiques fait replonger la victime dans un état de stress. Si la personne qui vous interroge le fait sans ménagement, si elle insiste pour obtenir des informations qui vous échappent, votre stress va augmenter et vos souvenirs seront encore plus fragmentaires. Le doute s’installe alors peu à peu chez celui qui mène l’entretien… « Mais comment pouvez-vous ne pas vous souvenir de la couleur du T-shirt de votre agresseur ? » C’est comme cela que la mécanique du soupçon s’enclenche.

La malléabilité des souvenirs

Un cercle vicieux qui peut même amener la victime à douter de ce qu’elle a, elle-même, vécu. Marie en vient ainsi à se demander si le viol subi n’était pas un cauchemar très réaliste. Comment est-ce possible ? En fait, notre mémoire est beaucoup plus faillible que l’on imagine (voir à ce sujet cet article de 6boolo). A chaque fois que vous vous remémorez un événement, c’est-à-dire que vous réactivez la trace mnésique laissée dans votre cerveau par ce que vous avez vécu, celle-ci devient instable, malléable pendant un moment. Pendant ce laps de temps, le souvenir peut être transformé, magnifié, mis à jour, ou même mis de côté et oublié. C’est la théorie de la « reconsolidation du souvenir » prouvée chez la souris par le chercheur Pascal Roullet de l’université de Toulouse. La plasticité de la mémoire est telle que notre cerveau est même capable de créer des souvenirs de toutes pièces. C’est ce qu’on appelle « les faux souvenirs ». Si, lorsque nous remémorons un souvenir traumatique, notre interlocuteur se met à douter de notre parole, nous pouvons nous-mêmes reconsidérer notre propre souvenir.

Une vérité qui dérange

Peu à peu l’entourage de Marie remet en question son récit alors même que le comportement de la jeune femme devrait, au contraire, les conforter dans le fait que celle-ci a bel et bien subi un traumatisme. Pourquoi un tel déni ? Par méconnaissance des processus décrit ci-dessous, d’abord. Mais sans doute aussi pour une raison plus profonde. Une fois que les policiers commencent à douter de la véracité du témoignage de Marie, ceux-ci vont délibérément chercher les informations les confortant dans cette idée. Ils vont pour cela scruter l’histoire de la jeune femme. Marie, enfant placée dans des familles d’accueil successives, a déjà subi des violences. La série montre bien combien son passé d’enfant traumatisé joue alors contre elle. Elle est une jeune fille à problèmes « qui a désespérément besoin d’attention » comme le dit l’une de ses mères d’accueil. Et qui donc aurait pu inventer tout cela.

Biais de confirmation

En faisant cela, les policiers sont victimes du « biais de confirmation », cette tendance qu’a notre cerveau à donner davantage de crédit aux informations qui confirment nos propres croyances. Comme si, à leurs yeux, l’agression ne pouvait pas avoir eu lieu. Pourquoi le viol est-il une vérité si dérangeante ? Sans doute parce qu’il contredit l’image que l’on peut se faire de la civilisation. L’histoire de Marie est aussi celle de la faillite de nos sociétés à protéger les plus vulnérables. Marie vient d’une famille dysfonctionnelle mais elle est entourée de deux anciennes mères d’accueil. Elle vit dans une résidence qui accueille des jeunes adultes ayant eu des difficultés comme elle et peut compter sur la présence de deux éducateurs. Mais cela n’a pas suffi à la protéger du violeur. C’est aussi cette vérité que nous avons collectivement du mal à regarder en face.

Pour en savoir plus:

L’article de T. Christian Miller and Ken Armstrong dont est tiré la série Unbelievable : https://www.propublica.org/article/false-rape-accusations-an-unbelievable-story

Deux articles très intéressants (en anglais) dans lesquels intervient Jim Hopper, un psychologue américain spécialiste des effets des agressions sexuelles sur le cerveau :

https://blogs.scientificamerican.com/observations/how-reliable-are-the-memories-of-sexual-assault-victims/

https://www.bustle.com/p/unbelievable-shows-police-need-to-not-just-believe-rape-survivors-but-understand-them-too-18741687

Une vidéo de Jim Hopper où celui-ci explique en 6 minutes la façon dont le cerveau réagit dans les situations de stress extrême comme lors d’un viol.

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