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Victor Waknine : « Au travail, le bien-être passe par trois sentiments : l’utilité, la compétence, l’appartenance »

Inventeur du concept de Goodwill Social, créateur de l’Indice de bien-être au travail (IBET), Victor Waknine dirige le cabinet Mozart Consulting. Spécialité : l’engagement des collaborateurs et la performance sociale de l’entreprise. Il décrypte pour 6boolo les mécanismes du bien-être dans la vie professionnelle.

Depuis quelques années, la question du bien-être au travail est devenue une sorte de mantra managérial. On ne compte plus les publications, conférences, initiatives visant à diffuser du bonheur dans l’entreprise. Comment expliquez-vous ce phénomène et que révèle-t-il, selon vous, de la redéfinition des relations entre l’entreprise et ses collaborateurs ?

Victor Waknine : « Tout d’abord, il faut noter que c’est un phénomène très français ; dans les pays anglo-saxons et en Amérique du Nord, le « well being at work » fait partie de la culture sociale. C’est une sorte de marketing de l’attractivité et de la fidélisation. Contrairement à la France, les notions de stress, risques psycho-sociaux (RPS), souffrance au travail n’existent pas dans le code du travail et ne sont donc pas des obligations de prévention de l’employeur. La France a connu en 2008/2010, un tsunami social avec les suicides de France Télécom et d’autres entreprises dans la période sévère post crise 2008 de restructurations à objectifs financiers.

Le credo était et demeure « Faites plus avec moins, mieux ou plus vite, mais restez engagés ». Je dirais donc que nous subissons une seconde vague depuis 2013, qui fait écho à la première et centrée sur le « bien -être au travail », la séquence positive d’une pathologie négative du désengagement générée par le « mal être au travail ». Car tenir une sémantique stigmatisante pour les entreprises n’est pas durable, ni pour l’image, ni pour l’attractivité, ni pour le climat social. De plus la généralisation de la souffrance au travail n’est pas non plus une réalité statistique. »

Bien-être, bonheur, engagement, sens, motivation… Une certaine confusion règne parfois entre tous ces concepts… Pouvez-vous les éclaircir, nous dire simplement à quoi ils correspondent vraiment et comment ils s’articulent (ou pas…) entre eux dans l’entreprise ?

Victor Waknine : « Bottons déjà en touche la sémantique du « bonheur » qui est une escroquerie marketing d’offreurs opportunistes de psychologie positive, comme s’il existait une psychologie négative. Le code du travail ne demande pas à un employeur de rendre ses salariés « heureux ».

Le « bien-être au travail », en revanche, à une définition claire en psychologie sociale, il est constitué de trois sentiments : Utilité (dans mon travail), Compétence (dans mon métier), Appartenance (à mon environnement de travail).

De plus c’est une notion individuelle, qui va chercher « l’engagement » pour passer dans le contexte social collectif. On parle alors de « motivation intrinsèque » et la Qualité de Vie au Travail (QVT) structure cet atterrissage collectif. On retrouve ainsi l’articulation entre « bien-être au travail, motivation intrinsèque, engagement et QVT. »

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, notamment avec l’irruption d’un télétravail généralisé, on assiste à une accélération de la quête de sens dans la vie professionnelle. Cette crise, selon vous, est-elle aussi l’occasion d’une prise de conscience de notre rapport au travail ?

Victor Waknine : « Effectivement, cette crise sanitaire vient « hybrider » la temporalité du couple « travail/hors travail » et sème donc la confusion dans le sens de la « représentation sociale du travailleur, du professionnel et de la personne ».Toute confusion des genres à un coût psychologique important, il nous faudra repenser le travail présentiel en cohérence avec le travail distanciel.

Quelle différence fait-on entre un mail reçu par son manager de proximité dans un « open space » à 2 m de distance et le même mail reçu en télétravail à 20 kms de distance ? »

Vous êtes l’inventeur du concept de Goodwill Social basé sur l’Indice de bien-être au travail (l’IBET) dont vous êtes aussi le créateur. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette méthode quelques mots ?

Victor Waknine : « L’IBET est le premier système de mesure du bien-être au travail. C’est un outil de reporting social qui permet d’évaluer le risque socio-organisationnel au sein de l’entreprise ou son potentiel de survaleur sociale. L’IBET est aussi un marqueur prédictif de l’engagement réciproque entre l’employeur et les collaborateurs, ADN du capital humain, qui mesure – à partir des données du bilan social – l’évolution du niveau d’engagement des collaborateurs dans le temps, sur différentes populations et mailles organisationnelles.  Pour calculer l’indice IBET (voir le graphique ci-dessous, NDLR), il nous faut donc calculer les taux de désengagement avérés comme l’absentéisme du au travail, les démissions, les ruptures conventionnelles, les sorties en période d’essai, les licenciements non économiques….

L’IBET est un indice socioéconomique allant de 0 à 1 pour sa valeur maximum, traduisant la meilleure performance de l’engagement socio-organisationnel.

Par convention de qualité, le bien-être au travail révélateur de l’engagement, se situe dans une zone de bonnes pratiques ayant un IBET > 0,85. Son équation se formule ainsi : IBET (Indice d’Engagement) + ∑ Taux de désengagement = 1. »

Concrètement, dans une PME par exemple, quels sont les leviers que peut actionner le chef d’entreprise pour créer un environnement favorable au bien-être de ses collaborateurs et à la performance collective ?

Victor Waknine : « Il est possible d’actionner les trois leviers suivants :
– Qualité du travail : autonomie, charge de travail, soutien et reconnaissance
– Qualité du métier : développement des compétences, développement personnel, communication régulière sur la trajectoire de l’entreprise, évolutions de carrière possible
– Qualité de l’environnement de travail : santé et sécurité du poste de travail et télétravail, facilités de vie au travail, articulations de vie hors travail, développement durable. »

Un grand nombre de salariés expriment le besoin de se sentir utile dans leur travail, de donner un sens à leur mission… Ils sont d’ailleurs prêts à gagner moins pour se sentir plus investis, épanouis… À quoi correspond, selon vous, ce besoin ?

Victor Waknine : « C’est un besoin naturel.

Aujourd’hui, les salariés souhaitent pouvoir s’exprimer sur le contenu de leur travail afin de pas avoir à faire un « bullshit job ». Un travail dans lequel ils risquent de s’ennuyer et de se dévaloriser, de ne pas pouvoir exprimer leur créativité et manquer d’autonomie.

Ils souhaitent aussi participer à des projets en mode collaboratif pour développer leur lien social par le travail. Dans ce que j’appelle la roue des sens, il y a 6 étapes, 6 niveaux chronologiques et interdépendants qui illustrent ce sens que les collaborateurs recherchent au travail, du revenu à la reconnaissance (voir notre encadré ci-dessous, NDLR) ».

Propos recueillis par Nasser Negrouche

L’IBET : 10 niveaux d’engagement

Tournez la roue des sens !
Voici les 6 questions à vous poser pour savoir si vous trouvez du sens à votre travail.
1- Le revenu. Est-ce que mon salaire me convient ? Ai-je le sentiment d’être rémunéré à ma juste valeur ? Est-ce que je me sens exploité ?
2- L’utilité sociale. Suis-je fier de mon métier ? Est-ce que je me sens utile aux autres, à la société ?
3- Le climat social. Quelle est sa qualité dans mon entreprise ? Est-ce que j’évolue dans une ambiance de travail saine ?
4- L’autonomie. Le niveau d’autonomie qui est le mien me donne-t-il satisfaction ? Est-il trop faible ou, à l’inverse, trop important pour moi ?
5- Développement professionnel et individuel. Mon métier me permet-il de concilier ces deux dimensions ? Ou l’une est-elle négligée à cause de l’autre ?
6- La reconnaissance. Est-ce que je reçois la reconnaissance que je suis légitimement en droit d’attendre ?

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