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Onde P3 : la signature cérébrale des enfants agressifs ?

Sa détection précoce permettrait une prise en charge plus efficace de l’agressivité des mineurs dès la petite enfance. Une démarche prédictive qui fait polémique.

Agressions ultraviolentes, rixes sanglantes entre bandes de mineurs, règlements de comptes mortels entre adolescents… Depuis le début de l’année, les actes de violence impliquant des jeunes se multiplient : agression sauvage de Yuri, 15 ans, à Paris, en janvier ; passage à tabac d’une adolescente à Tours le 5 février, décès de deux mineurs à Saint-Chéron et Boussy-Saint-Antoine les 22 et 23 février, assassinat d’Alisha, une collégienne de 14 ans, retrouvée dans la Seine, tuée par deux autres élèves de sa classe âgés de 15 ans…

Des mineurs de 13 à 15 ans

Une liste macabre qui ne recense en réalité que les faits les plus médiatisés. Sur le terrain, pas une semaine ne passe sans que, un peu partout en France, des agressions entre mineurs se produisent.  Et le plus souvent, les actes de violence opposent des bandes rivales de mineurs âgés entre 13 et 15 ans. En 2020, selon le ministère de l’Intérieur, 357 affrontements (contre 288 en 2019) ont été recensés. Soit une hausse de près de 25%, principalement en région parisienne puisque 95% des bandes identifiées et 84% des rixes se situent en Ile-de-France. En grande couronne (Essonne et Val d’Oise), plus précisément. Bilan : 3 morts et 218 blessés. Cette violence juvénile, désormais, s’étend aussi aux différentes régions du pays, métropoles locales et même territoires ruraux parfois.

Haine numérique

Si la violence des mineurs n’est pas une préoccupation nouvelle, celle-ci apparaît néanmoins sous des traits différents aujourd’hui. A la traditionnelle « guerre des territoires » qui opposaient les jeunes de quartiers rivaux a succédé une nouvelle forme d’adversité née ou exacerbée sur les réseaux sociaux. Insultes en ligne, diffusion de photos ou vidéos privées, cyberharcèlement sur Internet, campagnes de dénigrement… : tous les coups sont permis sur Internet ! Une haine numérique qui s’est développée à la faveur des confinements successifs. Ainsi, en 2020, le nombre d’appels sur la ligne « Net Ecoute » (0800 200 000, le numéro vert national de protection des mineurs sur Internet) a bondi : 4315, contre 2747 un an plus tôt.

Un marqueur cérébral de l’agressivité

Alors est-il possible de détecter de manière précoce ces comportements agressifs chez les enfants et les adolescents ? Avant que ces pratiques ne s’ancrent dans leur personnalité. Au-delà des mesures habituelles à caractère éducatif et social, les neurosciences peuvent-elle apporter une réponse préventive efficace ? Oui répond sans hésitation Isaac Petersen, psychologue clinicien, professeur au Département Psychological and Brain Sciences de l’Université de l’Iowa. Avec son équipe, ce chercheur a identifié un marqueur cérébral associé à l’agressivité des tous petits enfants : l’onde P3, parfois aussi appelée onde P300. Découverte dans les années 60 aux États-Unis, elle correspond à un potentiel évoqué cognitif (PEC ou Event-Related Potentials) mesuré en électroencéphalographie. P signifie que c’est une onde d’amplitude positive, et 300, qu’elle apparait 300 ms après le début d’une stimulation.

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L’onde P3 concerne un ensemble d’activités d’aires cérébrales variées et largement distribuées. Elle s’inscrit dans une série d’ondes cérébrales générées lorsqu’un sujet est confronté à un changement de l’environnement, à une modification inattendue de ses repères dans une interaction sociale.  « Les petits enfants sont moins capables d’interpréter ces changements et risquent davantage de mal interpréter certaines informations sociales, ce qui peut les amener à réagir de manière agressive », expliquent les chercheurs en neurosciences de l’Université de l’Iowa.

Dès la petite enfance

L’expérience menée par les chercheurs a porté sur 153 jeunes enfants, garçons et filles, suivis sur la durée et renouvelée à l’âge de 30, 36 et 42 mois. Tandis qu’ils regardaient des dessins animés avec un casque audio sur les oreilles, des variations ont été introduites dans la tonalité des sons (plus aigus, par exemple) pour mesurer les niveaux des différents types d’ondes cérébrales liées aux changements de tons. L’exercice a démontré que les enfants qui présentaient une onde P3 de faible amplitude au moment de ces ruptures de tonalité sont plus agressifs que les enfants qui génèrent une onde P3 au pic plus prononcé. Une différence jugée « statistiquement significative » par les chercheurs et qui concerne de la même manière les deux sexes.

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« Bien que les comportements agressifs soient fréquents chez les petits enfants, certains réagissent de manière neutre et d’autres agissent systématiquement de manière agressive », concluent les auteurs de l’expérience. Pour eux, l’onde P3 est un indicateur clé de l’agressivité, également associé à la dépression et à la schizophrénie. « Cette signature pourrait permettre de mieux détecter le risque d’agressivité dès la petite-enfance et, dans certains cas, d’opter pour des interventions précoces plus efficaces pour endiguer l’agressivité », explique le professeur Isaac Petersen.

Une dérive dangereuse

Cette démarche prédictive ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique. De nombreux chercheurs dénoncent la dérive dangereuse que constitue une telle approche fondée sur une stigmatisation d’enfants en bas âge qui seraient en quelque sorte « criminalisés » par la science.  Déjà, en 2005, les conclusions d’un rapport de l’Inserm sur les troubles de conduite de l’enfant et de l’adolescent avait mis le feu aux poudres… Partisans d’un dépistage précoce des enfants présentant des « facteurs de risque », les auteurs avaient provoqué  la colère de nombreux pédopsychiatres et psychologues comme Boris Cyrulnik, Bernard Golse ou encore Danielle Rapoport qui s’insurgeaient contre « un système permettant de repérer toute déviance à une norme établie selon les critères de la littérature scientifique anglo-saxonne ».

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Plus récemment, en novembre 2019, une note du Sénat soulignait « l’absence de fondement neuroscientifique à une expertise fiable de la dangerosité, qui prétendrait « dépister » des personnes à risque avant tout passage à l’acte. L’utilisation des neurosciences à cette fin constituerait un dévoiement porteur de menaces graves pour les libertés individuelles et l’état de droit ». Le risque ? Basculer vers une société du dépistage et du contrôle qui assignerait les citoyens, enfants et adultes, à des facteurs de risque pseudo scientifiques stigmatisants. Et passer à côté des facteurs sociologiques, psychologiques et affectifs qui nourrissent et entretiennent l’agressivité des mineurs : violences intrafamiliales, maltraitances, expériences traumatogènes, isolement relationnel, déracinement et rejet, troubles psychologiques, handicap…

Nasser Negrouche

Sources & références
-A longitudinal, within-person investigation of the association between the P3 ERP component and externalizing behavior problems in young children. October 2018. Journal of Child Psychology and Psychiatry.
-Are adolescents less mature than adults ? : minors’ access to abortion, the juvenile death penalty, and the alleged APA « flip-flop » Steinberg L. ; Cauffman E. ; Woolard J. ; Graham S. ; Banich M. Am Psychol, 2009.
-Hansenne M. The P300 cognitive event-related potential. II. Individual variability and clinical application in psychopathology. Neurophysiol Clin, 2000.
-« Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent », Éditions Inserm, 2005.  Inserm, ed. Conduct disorder in children and adolescents. Short version. Paris, 2005, 46p. – (Collective Expert Report). – http://hdl.handle.net/10608/142
-« Les notes scientifiques de l’Office » n°20 (novembre 2019). Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

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