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Décès d’un enfant : un séisme psychique pour les parents

Retour sur la polémique autour de la durée légale du congé accordé aux parents ayant perdu un enfant. Comment le cerveau réagit-il face à un tel drame ? Peut-on vraiment se reconstruire après un choc d’une telle violence ? Décryptage et analyse.

Erwan avait 7 ans. De grands yeux noisette et le sourire espiègle. Il aimait la piscine, les biscuits à la noix de coco et les BD. Un enfant attachant et plein de vie que sa maman appelait avec tendresse « mon petit soleil ». Un matin de novembre 2015, ses rayons se sont éteints pour toujours. Sans prévenir. Emporté en quelques semaines par une maladie rare fulgurante, Erwan s’est évanoui en silence dans la nuit automnale. « On est restés plusieurs mois prostrés, complètement K.O, incapables de réaliser ce qui s’était passé. Aujourd’hui encore, on tente toujours de se reconstruire… », confient les jeunes parents, brisés par le drame. Mais se remet-on jamais d’une telle épreuve ? Le débat, sur ce sujet ultra-sensible, vient d’être relancé à l’Assemblée Nationale lors de la récente discussion parlementaire sur la durée légale du congé accordé aux parents qui perdent un enfant mineur.

4500 familles touchées chaque année

Après avoir voté contre la mesure qui prévoyait de passer de cinq à douze jours ce temps de « repos », provoquant ainsi un tollé dans les rangs de l’opposition parlementaire et l’indignation des Français, les députés LRM ont fait marche arrière. Recadrés par Emmanuel Macron qui leur a demandé « de faire preuve d’humanité », ils se sont platement excusés pour tenter de clore la polémique. Depuis une « concertation » avec les acteurs associatifs et les partenaires sociaux a été lancée sans parvenir, pour autant, à apaiser le courroux suscité par ce dérapage des députés LRM. On sait cependant que le gouvernement s’oriente désormais vers un congé d’une durée de trois semaines qui s’appliquera à tous les actifs : salariés du privé, fonctionnaires, artisans, indépendants, agriculteurs.

Par ailleurs, Mounir Mahjoubi, député LRM de Paris, a annoncé de nouvelles propositions, notamment sur « l’accompagnement psychologique des parents ». En France, chaque année, environ 4500 enfants de moins de 18 ans meurent. Et face à un tel drame, les parents sont souvent isolés. Pas de dispositif de suivi psychologique, pas de mesures d’évaluation et de prévention des risques, pas de prise en charge institutionnelle des traumatismes. Pourtant, la disparition d’un enfant provoque un séisme psychique d’une violence inouïe chez les parents, les frères et sœurs, les proches…

Un électrochoc émotionnel

Les parents confrontés à la perte de leur enfant éprouvent d’abord un énorme sentiment d’injustice. Pourquoi lui/elle ? Pourquoi nous ? Pourquoi notre enfant avant nous ? Bousculé par un destin tragique, l’ordre générationnel ne signifie plus à rien. Tous les repères s’effondrent et un électrochoc émotionnel tétanise les parents qui se retrouvent brutalement projetés dans un monde qui a perdu tout son sens pour eux. Impacté de plein fouet, le cerveau se met alors en mode autodéfense : il enregistre « formellement » la nouvelle du décès mais protège le sujet en l’empêchant de réaliser la situation. En pilotage automatique, ce dernier peut ainsi faire face aux urgences du moment sans s’effondrer. Il s’agit d’un mécanisme de défense dont l’utilité est évidente. Cette période de sidération joue le rôle de bouée psychique qui permet aux proches de rester hors de l’eau, de ne pas être immédiatement emportés dans les profondeurs de la douleur. Cette fonction protectrice va aussi permettre l’intégration progressive du traumatisme. Sans effacer pour autant la peine et le chagrin.  

« La mort d’un enfant est une des expériences de deuil les plus douloureuses, dans tous les pays. Malgré des avancées significatives ces dernières années, l’aide que ceux-ci peuvent recevoir reste encore limitée… », constate Daniel Oppenheim, psychiatre et psychanalyste au Département d’oncologie et Unité de psycho-oncologie de l’Institut de cancérologie Gustave Roussy (1).

A la différence du parcours de deuil « classique » modélisé par la psychiatre américano-suisse Elisabeth Kübler-Ross (sans preuves scientifiques toutefois) et de ses étapes communément admises (choc et déni, colère, négociation, dépression et douleur, acceptation), le deuil d’un enfant n’est pas un chemin aussi balisé. Face à l’inacceptable, chacun fait comme il peut. Tout dépend aussi de la situation personnelle des parents, de leur environnement familial, affectif, de la présence ou non d’une fratrie, de la qualité des liens tissés, des éventuels antécédents psychologiques… Le processus de deuil est continu et même si la vie, au bout d’un moment, peut « reprendre ses droits » plus rien n’est jamais comme avant. Comme une cicatrice psychique avec laquelle il faudra vivre.

« Nous nous forçons à vivre sinon nous nous suiciderions ! »

Même lorsque la mort de l’enfant est attendue, comme dans le cas d’une maladie incurable, le traumatisme est inévitable. Dans « Parents en deuil » Daniel Oppenheim a collecté, lors de groupes de parole, les témoignages de parents ayant perdu leur enfant en milieu hospitalier. Tous décrivent, avec des mots souvent poignants, les émotions ressenties après la disparition de leur fils ou de leur fille. Le psychiatre a classifié ainsi leurs propos (nous reproduisons ici des extraits non exhaustifs) :

  1. La souffrance : « Nous nous forçons à vivre sinon nous nous suiciderions ».
  2. Les flashs : « Elle avait une telle douleur que je ne pouvais pas la prendre dans mes bras, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus là ».
  3. Le sentiment de culpabilité et d’impuissance : « Voir son enfant mourir et savoir qu’on ne peut rien faire, c’était de l’horreur pure ».
  4. L’ambivalence par rapport aux soignants : « Ils l’ont achevé avec des drogues, mais elle est morte paisiblement ».
  5. La difficile reconnaissance de sa mort : « Je ne comprenais pas ce que disait le médecin, car je ne pouvais croire que c’était la fin. Je ne peux toujours le croire ».
  6. Les recherches d’une cause à sa maladie : « Je lui ai donné la mort avec la vie ».
  7. Le bouleversement des repères temporels : « Quand j’ai enterré mon père, j’ai enterré mon passé. Quand j’ai enterré mon en­fant, j’ai enterré mon futur ».
  8. Les dates anniversaires : « Elles vous saisissent n’importe quand, n’importe où, et alors vous êtes totalement seul ».
  9. Le rapport à la mémoire est ambivalent : « Je voudrais en même temps vider toute ma mémoire et la garder intacte ».
  10. La difficile relation aux autres : « Les autres disent qu’ils nous comprennent, mais ce n’est pas vrai et ils ne peuvent pas nous aider ».
  11. Le trouble identitaire : « Ils oscillent entre cette double tentation : s’enfermer dans cette solitude incomparable ou rede­venir semblables à n’importe qui ». (Observation personnelle de Bruno Oppenheim).
  12. La souffrance de la fratrie : « Peut-être je vais avoir la même maladie, ou peut-être toi, et peut-être nous allons tous mourir ».
  13. Être enceinte pendant le deuil : « Je suis maintenant enceinte de quatre mois. Quand j’ai appris que c’était une fille, j’ai pleuré de joie, et de peur aussi de revivre la même épreuve. Mon fils m’a dit : “ N’as-tu pas assez souffert ? ».

Des tourments profonds, passages obligés vers une reconstruction personnelle durable. A condition de prendre le temps, d’être bienveillant et indulgent vis-à-vis de soi-même. Comme le rappelle Christophe Fauré, psychiatre et psychothérapeute, spécialiste de l’accompagnement du deuil et de la fin de vie : « Le deuil exige de nous douceur et patience. Tout comme une plaie physique nécessite des soins réguliers, il nous est demandé de mobiliser une égale attention pour celle du manque et de l’absence : il nous faut beaucoup de temps (en termes d’années…) pour accepter la réalité de ce décès à tous les niveaux de notre être. Ce n’est qu’à cette condition qu’il deviendra, petit à petit, acceptable de vivre à nouveau, en accueillant en dépit de tout ce que la vie a encore à nous offrir ».

Victor Bernard

Sources et références
-« Le deuil, une réalité vécue par 4 Français sur 10 ». Etude du CREDOC. T. Mathé – A. Francou – P. Hébel (2016)
-Enquête Empreintes-CSNAF réalisée par le CREDOC « Les Français et le deuil », (2019)
-« Deuil pathologique ou pathologie du deuil », thèse du Dr Sandrine Compan, psychitare (2015) : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01288763/document
-« Psychologie du deuil, Impact et processus d’adaptation au décès d’un proche » (Madaga ,2006),  Emmanuelle Zech.
-Daniel Oppenheim, « Parents en deuil » (2011), dans Revue internationale de soins palliatifs.  Un livre du même auteur et au titre éponyme, avec des témoignages exhaustifs, a été édité en 2014 (Eres).
-Christophe Fauré, « Les 4 étapes du deuil » (2014), chronique dans L’Express.

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