6boolo

Violences domestiques : le cerveau des enfants en danger

Exposés à un stress chronique, les jeunes témoins de violence domestique développent de graves dommages cérébraux.

Mais que se passe-t-il exactement dans la tête d’un enfant qui assiste à des violences domestiques ? Lorsque nous nous sentons menacés, en insécurité, nous enclenchons un processus en cascade : notre amygdale, une zone au centre de notre cerveau qui gère la peur, s’active. L’hypothalamus, sorte de centre de commandement, sonne l’alarme pour le reste du corps… Nos glandes surrénales se mettent alors à produire de l’adrénaline, de la norépinéphrine et du cortisol. Sous l’effet de ces hormones du stress, notre coeur se met à battre plus fort, nos muscles se contractent et notre pression sanguine augmente. Nous voilà en position de fight or flight, « se battre ou fuir ». 

Le stress chronique modifie le cerveau des enfants

C’est ce qui se passe chez un enfant qui a peur… Une réaction tout à fait normale qui nous permet de déguerpir à toute vitesse si, par exemple, nous croisons un loup dans une forêt… Mais si les loups sont partout, tout le temps, autrement dit si l’enfant vit dans un climat de violence psychologique et/ou physique, son cerveau va se bloquer dans cette position et être victime de stress chronique. Or chez les plus petits, ce stress a de graves conséquences : le cortisol et l’adrénaline vont imprégner leur cerveau, perturber sa croissance et même… le modifier.

Pour comprendre, il faut s’attarder sur la façon dont celui-ci se développe dès la grossesse. « Le cerveau va se construire du bas vers le haut, des zones les plus profondes qui vont gérer les fonctions de base, comme la respiration, aux zones les plus complexes, comme le cortex, qui se chargera plus tard notamment de la pensée abstraite », explique Bruce Perry, l’un des spécialistes mondiaux de la question dans un article publié dans la revue américaine Journal of Loss and Trauma. « Chacune de ces régions se développe, s’organise et devient fonctionnelle à des stades différents tout au long de l’enfance. Par exemple, à la naissance, les zones qui gèrent le système respiratoire et cardiovasculaire doivent être tout à fait au point pour que le nouveau-né puisse survivre. Le cortex mettra, lui, de nombreuses années avant d’arriver à maturité. »

Imprégné de cortisol

Or les réseaux neuronaux liés au stress sont parmi les premiers à se mettre en place dans le cerveau du bébé. Pourquoi ? Parce que ceux-ci vont pousser l’enfant à pleurer lorsqu’il a faim pour alerter ses parents, par exemple. Mais quand le stress devient chronique, il va perturber l’édification du cerveau en le saturant de cortisol et d’adrénaline. Cette imprégnation va avoir des répercussions en cascade sur son fonctionnement futur. Par exemple, si cela arrive chez l’enfant à un moment où se développe en lui le réseau neuronal lié à sa capacité à nouer des relations de confiance avec les autres, celui-ci peut être altéré. Plus grand, l’enfant aura alors du mal à créer des liens.

En danger dès la grossesse

Plus l’enfant est petit, plus les dommages peuvent être importants. Les premiers mois de vie sont, par conséquent, déterminants. La violence domestique a un impact dès la vie utérine. Surtout, si la violence persiste, l’enfant va peu à peu s’adapter à ce climat. Car le cerveau fonctionne selon le principe du « use-dependent » : ce sont les zones cérébrales sollicitées qui se développent en priorité. Chez eux, le circuit neuronal de la menace et du stress va donc, en quelque sorte, être surentraîné, au détriment des autres mécanismes neuronaux, par exemple celui qui permet de produire les hormones du bien-être. Résultat : l’enfant est hypervigilant. Tout nouveau stimulus va alors d’abord être considéré comme potentiellement dangereux Cela va avoir des conséquences sur ses capacités relationnelles et son agressivité.

Un cerveau fermé à la nouveauté

Mais aussi des conséquences sur ses capacités d’apprentissage. « À l’école, explique Bruce Perry, vous trouverez ainsi dans une même classe des enfants ayant vécu dans un environnement stable et calme dont le cerveau sera ouvert à la nouveauté, et d’autres qui seront en état d’alarme permanent et dont le cerveau restera imperméable à l’apprentissage. L’élève calme pourra se concentrer sur ce que dit le professeur et élaborer des pensées abstraites, alors que celui qui est en état d’alarme sera moins capable de traiter et de mémoriser les informations. »

Heureusement, les effets de ces traumatismes peuvent être amoindris. Comment ? Grâce à l’accompagnement apporté par l’entourage. Plusieurs études ont ainsi montré que ces blessures psychiques pouvaient être atténuées lorsque l’enfant recevait des soins appropriés. D’autant plus que le cerveau des enfants est très plastique, et que les réseaux neuronaux altérés peuvent être réparés. 

Muriel Sainte-Croix

Sources et références :
Les travaux de Bruce Perry : https://www.childtrauma.org/brain-dev-neuroscience

Ajouter un commentaire