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L’amnésie traumatique ou quand le cerveau disjoncte pour survivre au pire…

La patineuse Sarah Abitbol, l’animatrice de télévision Flavie Flament, Jean-François et Mathieu, deux victimes d’un prêtre pédophile dans le Nord de la France ou encore Ali, blessé lors de l’attentat du Bataclan… Tous ont été frappés d’amnésie post-traumatique après avoir été exposés à une situation de violence ou de stress extrême. Une manière, pour le cerveau, de surmonter l’épreuve.

« Le corps a parlé en premier ». C’est ainsi que Sarah Abitbol, 45 ans, dix fois championne de France de patinage artistique et plusieurs fois médaillée aux championnats du monde et d’Europe dans les années 90 et 2000 explique l’événement qui s’est produit à la fin du mois de janvier 2002. A seulement une semaine des Jeux Olympiques d’hiver de Salt Lake City. Le graal des sportifs de haut-niveau. Ce jour-là, elle se blesse sérieusement à l’entraînement. Le diagnostic est sans appel : rupture du tendon d’Achille. Adieu les J.O. Un cauchemar pour elle et Stéphane Bernardis, son partenaire sur la glace et aussi son compagnon dans la vie à l’époque. Tous deux déclarent forfait. C’est là que tout bascule. D’un coup, les souvenirs affluent, sortent de l’oubli. Comme « un flash » dit Sarah qui ne se souvenait pas, jusqu’à ce jour, des viols qu’elle avait subis lorsqu’elle était adolescente, entre 15 et 17 ans. Une « providentielle » amnésie post-traumatique qui lui aura permis de survivre au pire.

Des souvenirs inaccessibles à la conscience

C’est aussi ce qui est arrivé à Jean-François et Mathieu, victimes d’un prêtre pédophile à Aire-sur-la-Lys (Nord) quand ils étaient enfants, Ali le blessé du Bataclan ou encore l’animatrice de télévision Flavie Flament, violée par un photographe à l’âge de 13 ans. A chaque fois, le processus est le même : le cerveau disjoncte et coupe les circuits qui le relient à la mémoire et aux émotions. Pour protéger le sujet. Empêcher que ses plombs psychiques sautent. Après les faits, pendant de longues années, la personne exposée à une situation extrême ne se souviendra plus de rien. Profondément enfouis, les souvenirs resteront inaccessibles jusqu’à ce qu’un autre choc émotionnel ne vienne les réveiller. Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, explique la manière dont l’épisode traumatique remonte à la surface, parfois dix, vingt ou même trente ans après.  « Quand l’amnésie se lève, les souvenirs traumatiques reviennent le plus souvent de manière brutale et envahissante sous la forme d’une mémoire traumatique fragmentée, non contrôlée ni intégrée (flash-backs, cauchemars), faisant revivre les violences à l’identique avec la même détresse et les mêmes sensations », explique-t-elle dans une note de synthèse intitulée « La mémoire traumatique, un mécanisme dissociatif pour survivre » publiée en janvier 2018.

Circuits émotionnels débranchés et mémoire déconnectée

Viol, attentat, guerre, accident, agression…. Plusieurs événements extrêmes, vécus de manière directe ou indirecte, peuvent déclencher une amnésie post-traumatique. Lorsque le cerveau de la personne exposée (victime, témoin, proche…) ne peut plus contenir le stress extrême qu’il emmagasine, il va la plonger dans un état de paralysie psychique. Le sujet, en panique, ne peut plus maîtriser son niveau de stress et la réponse cérébrale lui échappe. Alors, pour faire face à la crise et parce que les fonctions vitales de l’organisme sont directement menacées par une production excessive de cortisol et d’adrénaline, le cerveau va faire disjoncter les circuits émotionnels et débrancher la mémoire.

C’est cette double interruption qui va provoquer des troubles dissociatifs de la mémoire qui seront à l’origine de l’amnésie traumatique. Son importance et sa durée varient selon les cas. « Ces amnésies traumatiques peuvent donc être partielles touchant plus particulièrement des éléments majeurs du trauma, ou totales. Elles peuvent durer des mois, des années, voire des dizaines d’années (plus de 40-50 ans). Les souvenirs reviennent dans un premier temps de manière non verbale, fragmentés et sensoriels, puis se constituent progressivement en récit », détaille Muriel Salmona. Un retour du passé souvent douloureux mais aussi libérateur.

Victor Bernard

Sources et références
-Salmona M. Dissociation traumatique et troubles de la personnalité post-traumatiques. In Coutanceau R, Smith J (eds.). Les troubles de la personnalité en criminologie et en victimologie. Paris : Dunod, 2013, téléchargeable sur le site memoiretraumatique.org

-Enquêtes « Cadre de vie et sécurité » CVS Insee-ONDRP, de l’Observatoire National des réponses pénales 2010 à 2016. consultable sur le site inhesj.fr

-Enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015, conduite auprès de plus de 1200 victimes de violences sexuelles par Association Mémoire Traumatique et Victimologie avec le soutien de l’UNICEF France: Salmona Laure auteure, Salmona Muriel coordinatrice, Rapport et synthèse téléchargeables sur les sites : http://stopaudeni.com et http:// www.memoiretraumatique.org