Depuis quelques années, en France, les neurosciences connaissent un essor spectaculaire. Comment expliquez-vous cette vogue ? Mode ou tendance de fond ?
Hervé Chneiweiss : « Les recherches en neurosciences se sont développées à une échelle internationale dès les années 1980 et ont vite représenté plus de 20% des recherches en sciences de la vie, tant en France qu’en Europe ou dans les autres pays de l’OCDE, et y compris en Chine à partir des années 2000. Les raisons en sont multiples. Bien entendu, le mystère essentiel que constitue l’organe de la pensée. Mais aussi le fait que les maladies du cerveau représentent un tiers de nos dépenses de santé soit plus de 1000 milliards d’euros chaque année à l’échelle de l’Europe selon des études économiques incluant le coût lié, par exemple, aux absences pour crises migraineuses ou à la prise en charges des patients en perte d’autonomie. Enfin, cela s’explique également par le développement des techniques d’analyse du cerveau, depuis la génétique, l’électrophysiologie à l’échelle de la cellule unique, l’imagerie cellulaire et l’imagerie cérébrale…qui permettent des approches à de multiples échelles de plus en plus intégrées aux analyse in vivo du comportement ».
Quels sont, selon vous, les apports les plus importants des neurosciences à notre société ? Qu’est-ce qu’elles nous permettent de mieux comprendre, d’améliorer, de découvrir ? En quoi nous sont-elles utiles ?
Hervé Chneiweiss : « Ils sont également multiples et très variés. D’abord, et en restant très humble devant l’étendue de notre ignorance, les connaissances déjà acquises balaient nombres d’idées reçues et totalement fausses sur notre cerveau : non, nous n’utilisons pas que 5% de nos capacités, non le cerveau humain n’est pas l’empilement du cerveau reptilien, limbique et cortical, non il n’y a pas des individus cerveau droit et d’autres cerveau gauche… Ensuite, nous commençons à pouvoir comprendre et traiter certaines pathologies. Le premier lien direct de la découverte fondamentale à l’application clinique a été la maladie de Parkinson, traitée par des équivalents de la dopamine pour compenser la perte des neurones dopaminergiques de la substance noire. Plus récemment, le traitement de la migraine par les anticorps monoclonaux anti-CGRP. Enfin, même si nous n’en sommes qu’au tout début, nos recherches nous montrent comment le cerveau apprend, ou comment il n’apprend pas, comment il prend des décisions, comment il mémorise toutes choses aux retombées potentiellement majeures dans l’éducation ou dans la vie sociale ».
Qu’il s’agisse de la justice, de l’éducation, de l’alimentation ou de la santé, par exemple, les neurosciences bouleversent nos certitudes, nos croyances… Faut-il alors s’attendre à une révolution de nos savoirs traditionnels, aujourd’hui bousculés par les découvertes des chercheurs ? À quels types de changements concrets faut-il s’attendre ?
Hervé Chneiweiss : « Oui la science bouscule souvent le « bon sens » traditionnel : non, la Terre n’est pas plate et ne le sera plus jamais. De même, nous découvrons que le sommeil n’est absolument pas une perte de temps mais une fonction vitale de notre cerveau nous permettant, entre autres, d’apprendre.
La mise en évidence du rôle essentiel de l’émotion dans nos prises de décision doit nous faire réévaluer notre schéma cartésien et nous permettre de comprendre comment certains cherchent à nous manipuler… »
Quels liens les neurosciences entretiennent-elles avec l’intelligence artificielle ? Peut-on envisager un cerveau humain « augmenté » ou bien s’agit-il de science-fiction ?
Hervé Chneiweiss : « L’intelligence artificielle s’inspire du fonctionnement cérébral, même si les algorithmes en « réseaux de neurones » n’ont rien à voir avec un réseau de vrais neurones. L’IA nous permet aujourd’hui un cerveau « assisté » : plus besoin de retenir un numéro de téléphone ou de connaitre par cœur une carte routière. En nous libérant de tâches ingrates et consommatrices d’une partie de notre espace mental, en prenant en charge une partie de notre charge mentale (par exemple, l’attention à la route si nous disposons demain de véhicules autonomes), l’IA nous permettra de consacrer nos capacités cérébrales à ce qui nécessite vraiment une intelligence humaine. Et donc sans même nous augmenter, l’IA nous libèrera ».
Certain.e.s brandissent les neurosciences comme LA clé universelle de compréhension de l’humain… Cela ne risque-t-il pas de nous entraîner vers des dérives et existe-t-il des barrières éthiques à ne pas franchir ?
Hervé Chneiweiss : « La neuroéthique se développe depuis le début des années 2000 et devra le faire de plus en plus.
Il est essentiel de ne jamais confondre l’outil des neurosciences, à savoir créer un modèle du cerveau, avec un cerveau modèle qui serait le formatage idéal de ce que devrait être un cerveau humain.
Nous avons tous à peu près le même cerveau mais tout ce qui fait de nous des individus se joue dans cet « à peu près ». Nos pensées sont le domaine essentiel de notre vie privée et nous sommes un certain nombre à commencer à penser qu’il faut ajouter de nouveaux droits de l’homme et en particulier la privacité cognitive et la liberté cognitive. Un certain nombre de neurotechnologies en cours de développement pourraient nous menacer. Des analyses sérieuses sont menées et des directives légales devront être prises ».
Entreprises, paramédical, développement personnel, commerce, médias… On trouve du « neuro » un peu partout aujourd’hui… Pouvons-nous parler de « neuro-washing » et comment s’en prémunir ?
Hervé Chneiweiss : « Oui, très souvent le « neuro » est totalement abusif et masque un usage inapproprié de techniques développées par les neurosciences.
Entre ce qui peut être observé au laboratoire sur des tests simples avec des sujets volontaires, et ce qui arrive dans la vraie vie, il y a tout l’univers de notre ignorance, et encore pour longtemps… ».
Quelles sont, selon vous, les grandes tendances qui vont marquer le développement des neurosciences dans les 5 à 10 prochaines années ? Et à plus long terme (20 à 30 ans) ?
Hervé Chneiweiss : « La convergence et l’intégration des données. Les méthodes analytiques se développent dans de multiples directions mais notre compréhension du fonctionnement cérébral nécessite une intégration des différentes données, souvent grâce à la modélisation informatique. Je suis émerveillé par le rythme et l’ampleur des découvertes en neurosciences ».
Propos recueillis par Nasser Negrouche
Un voyage scientifique et artistique au cœur du cerveau
Un voyage fascinant, à la fois scientifique et artistique, des cellules aux émotions. Organe parfaitement mystérieux, le cerveau fascine. Comment fonctionne-t-il ? Comment, grâce à lui, pouvons-nous adapter, réagir, calculer, réfléchir ? Pour le comprendre, Hervé Chneiweiss, nous accompagne aux confins de cet organe merveilleux dans son livre « Notre cerveau. Un voyage scientifique et artistique des cellules aux émotions » (Editions L’iconoclaste). Plonger au cœur du cerveau revient alors à faire un grand voyage. Du plus simple au plus complexe, à l’appui de photographies scientifiques, l’auteur convoque, en parallèle, des peintres et des poètes – ceux qui, fascinés, l’ont évoqué et ceux, plus expérimentaux, qui, tel Michaux, se sont servis du dérèglement de cet organe pour créer. Autant de regards émerveillés face à la minutie et la complexité de cet univers qui campe dans notre tête. « Les huit chapitres (+ un aparté historique) éclairent le cerveau sous plusieurs angles et à la lumière des dernières découvertes ; la diversité cellulaire, les neurones et les astrocytes, les circuits qui permettent aux cellules de communiquer et d’interagir, la conscience et les anticipations, les émotions, la mémoire, le sommeil et les rêves, l’invention du monde. Pour compléter cette exploration, des encadrés défont les idées reçues : on serait « cerveau gauche » ou « cerveau droit », il existerait un centre des émotions, une hormone du bonheur… D’autres permettent de découvrir « les héros des neurosciences » : des scientifiques ou des patients qui ont permis de grandes avancées. Poèmes, tableaux et photos scientifiques viennent compléter ce voyage à 360° ».
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